Le sommet du diesel à Berlin : enjeux et contradictions

Par Nabil Bourassi  |   |  799  mots
Les ventes de diesel ne cessent de baisser en Europe, l'un des rares bastions de cette motorisation dans le monde.
Le gouvernement allemand réunit les principaux acteurs de la filière diesel pour tenter de sortir de la diabolisation qu'ils ont eux-mêmes nourri par manque de transparence, voire par tricherie. Il s'agit de sauver les 700.000 emplois que compte cette branche... Ou alors de trouver une sortie par le haut pour l'industrie automobile allemande...

Faut-il sauver le soldat diesel ? Le sujet est en tout cas suffisamment grave pour que les autorités allemandes convoquent un sommet avec les principaux acteurs de la filière. Il s'agit de mettre au point un plan d'action pour sortir de la diabolisation qui encercle désormais cette motorisation et qui pousse nombre d'agglomérations à limiter voire à leur interdire l'accès - le projet parisien d'interdiction des véhicules diesel d'ici à 2020 a notamment inspiré Mexico, Madrid et Athènes.

Une crédibilité entamée par les "affaires"

Le gouvernement allemand n'ignore évidemment rien des responsabilités des constructeurs eux-mêmes qui ont manqué de transparence jusqu'à l'escroquerie : le scandale des moteurs truqués et les manipulations autour des seuils de températures pour activer les dispositifs de dépollution, jusqu'à la formation d'une immense entente entre constructeurs portant préjudice au consommateur et à l'environnement...

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La défiance est telle que le discours des constructeurs pourrait bien être totalement inaudible aux yeux des consommateurs. D'ailleurs, ceux-ci ont d'ores et déjà commencé à se tourner vers les motorisations essence. En Allemagne, les ventes de diesel sont passées de 48% à 41% des nouvelles immatriculations entre 2012 et juin 2017. En France, pays du diesel, cette motorisation qui culminait à près de 77% des ventes en 2011 à moins de 50% en 2016.

[Crédits : Statista.]

Des enjeux économiques colossaux

Pour les constructeurs, c'est un problème car les moteurs essence sont moins chers. Pour les équipementiers, c'est moins de systèmes de dépollution. Si le filtre à particules sera bientôt obligatoire y compris sur les moteurs essence, ils vendront moins de SCR - un système qui neutralise les particules fines. Les enjeux sont également très importants en ce qui concerne l'emploi. La fédération automobile allemande estime à 159.000 le nombre d'emplois directs liés aux moteurs diesel. Elle indique que ce chiffre atteint les 670.000 si on tient compte des emplois indirects.

Car les Allemands continuent d'y croire. Ils estiment que la technologie diesel est la seule technologie qui permet de limiter les émissions de CO2 : entre 20 et 30% de moins par rapport à un moteur essence. Mais les agglomérations ne veulent plus de ces voitures qui émettent davantage de particules fines et qui polluent la santé des habitants. Les constructeurs ont beau rétorqué que les filtres à particules couplés au SCR et à la vanne EGR, permettent de filtrer plus de 95% des émissions de particules fines. Sauf que les constructeurs n'ont cessé de mentir jusqu'ici et ont ainsi perdu toute crédibilité.

Le gouvernement mis en accusation

Pire que cela, l'opinion publique considère que le gouvernement a été au mieux complaisant au pire complice de ces manœuvres. Angela Merkel marche donc sur des œufs à quelques semaines seulement des élections législatives où elle se représente. Elle doit ménager la chèvre et le choux en jouant la fermeté face aux accusations de triche et d'entente, tout en prenant garde à ne pas bousculer une industrie encore fortement dépendante de cette technologie. Le ministre des Transports ne dit pas autre chose lorsqu'il déclare que « l'industrie automobile s'est mise dans une situation vraiment difficile » et qu'elle devait désormais faire face à « une sacrée responsabilité pour regagner la confiance ». « Je ne suis pas disposé aux copinages », a-t-il également ajouté lors d'un entretien à la télévision pour répondre aux accusations de complicité. Le dilemme du gouvernement a été résumé d'une phrase par Ulrike Demer, la porte-parole de la chancelière :

« Il s'agit de critiquer ce qui doit être critiqué tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'une industrie stratégiquement importante en Allemagne. »

Hier moqué, le virage du 100% électrique

Depuis 2016, les constructeurs automobiles allemands ont amorcé un virage dans leur stratégie de motorisation. Alors que les entreprises moquaient jusque-là le 100% électrique, elles ont annoncé d'ambitieux plans électriques. Mercedes a ainsi exposé au dernier salon de Paris son concept EQ à partir duquel il envisage de bâtir une dizaine de modèles 100% électrique. Chez Audi, on ne devrait pas tarder à proposer des modèles électriques qui afficheraient des performances proches d'une Tesla Model S. La marque Volkswagen veut également être plus offensive sur cette technologie. Le groupe vise d'ailleurs une part de 25% de ses ventes sur des modèles électrifiés (c'est-à-dire hybrides compris).

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Finalement, le but sous-jacent du sommet de Berlin pourrait bien être la préparation de la reconversion de l'industrie allemande du diesel, une technologie beaucoup trop européenne... Mais le gouvernement allemand devra alors répondre à cet autre paradoxe : comment fournir de l'électricité à un important parc de voitures électriques lorsque 45% de sa production est encore au charbon et donc fort émetteur de polluants.