Énergie : la stratégie française suspendue à une forte hausse des exportations électriques

Par Dominique Pialot  |   |  1261  mots
L'Etat mise sur une multiplication par cinq des capacités solaire installées d'ici à 2028 (Crédits : Reuters)
La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) enfin publiée ce 25 janvier confirme des pistes déjà connues concernant la diminution progressive du nucléaire, de grandes ambitions concernant l’éolien et le photovoltaïque, mais beaucoup moins le gaz vert ou les énergies marines et, surtout, un doublement des exportations d’électricité vers les pays voisins.

La stratégie énergétique française dans les dix prochaines années, formalisée dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévue par la loi de transition énergétique de 2015, la neutralité carbone à l'horizon 2050, dans le respect de la sécurité d'approvisionnement, de la compétitivité des entreprises et de la maîtrise des prix pour les consommateurs. Pour y parvenir, le gouvernement met d'abord l'accent sur la diminution de la consommation, qui devra être divisée par deux d'ici à 2050, avec des baisses de 7% en 2023 et 14% en 2028 (par rapport à 2012). Cette baisse devra concerner en premier lieu les énergies fossiles : -80% pour le charbon, -35% pour le pétrole et -19% pour le gaz. En revanche, l'électrification des usages se traduira à terme par une hausse de la consommation, même si celle-ci devrait, dans un premier temps, être compensée par les gains espérés en matière d'efficacité énergétique. L'objectif est de parvenir à une production d'énergie 100% décarbonée et à compenser les émissions résiduelles des autres secteurs d'activité.

Priorité aux renouvelables matures et compétitives

Le gouvernement affiche de grandes ambitions pour les énergies renouvelables. Ou plus précisément, pour celles qui ont atteint une maturité leur permettant d'être aujourd'hui très compétitives avec l'énergie conventionnelle.

Il s'agit donc de doubler les capacités installées d'énergies renouvelables d'ici à 2050, en multipliant par 2,5 les capacités installées d'éolien, et par 5 ou 6 celles de photovoltaïque. Le ministère souligne que ces ambitions ne posent pas de problème en termes d'usage des sols ou de pression foncière, puisqu'il s'agit de passer de 8.000 éoliennes installées aujourd'hui à moins de 15.000 (du fait des gains de performances), et pour le solaire, d'occuper 365 kilomètres carrés supplémentaires au sol et 175 kilomètres carrés de toitures pour le photovoltaïque.

Concernant la biomasse, sur laquelle nous pourrions connaître un déficit entre des besoins évalués à 460 TWh et un potentiel de 430 TWh, et qu'il pourrait être difficile d'importer dans la mesure où nos voisins pourraient se trouver dans des situations similaires, la PPE prévoit que le soutien financier soit réservé aux seules installations visant à produire de la chaleur.

Le biométhane (produit par méthanisation à partir de déchets organiques ménagers ou agricoles) voit ses ambitions stoppées nettes. Alors que le coût de production actuel est d'environ 95 euros par mégawattheure (MWh) produit, le gouvernement conditionne l'objectif de 10% de gaz vert dans le réseau en 2030 à une baisse des coûts à hauteur de 67 euros/MWh. Sinon, l'objectif restera limité à 7%, à comparer avec les ambitions d'un GRDF qui proposait 30%. Cette position, justifiée par une attention toute particulière portée aux coûts de la transition écologique sur fond de mouvement des gilets jaunes, semble assez antagoniste avec le constat d'électricité éolienne et photovoltaïque qui ont vu leurs coûts divisés par dix en dix ans pour des puissances équivalentes... précisément grâce aux économies d'échelle. Celles réalisées au niveau de la fabrication de panneaux solaires en Chine, mais aussi dans une certaine mesure, celles autorisées par le volume total des appels d'offres. On peut craindre que ces perspectives modestes ne suscitent pas suffisamment d'investissements pour permettre de telles baisses de coûts. Et plus largement que cette préférence aux technologies matures sur lesquelles la France - et même l'Europe - ont laissé le leadership à d'autres régions du monde n'entrave le développement de filières industrielles domestiques sur des technologies encore émergentes.

Les mêmes considérations pour des filières compétitives conduit le gouvernement à limiter ses ambitions en matière d'éolien offshore, encore coûteux, et à confirmer le coût d'arrêt porté aux autres énergies marines telles que l'hydrolien. Pour l'appel d'offres sur le parc éolien en mer de Dunkerque, le gouvernement indique un tarif cible de 70 euros le mégawattheure, mais le ministre François de Rugy lui-même a laissé entendre lors de son intervention aux Assises européennes de la transition énergétique le 22 janvier qu'il s'agirait peut-être du tout premier projet français sans subvention.

Pas d'indemnisation pour les centrales de plus de 50 ans

Concernant la trajectoire de baisse de la part de nucléaire dans le mix électrique, la PPE confirme le report à 2035 de cet objectif, annoncé en novembre 2017 par Nicolas Hulot lui-même, alors qu'il figure dans la loi de transition énergétique à l'horizon 2025. Pour y parvenir, le gouvernement table sur la fermeture de 2 réacteurs en 2027/2028, en plus de ceux de Fessenheim qui doivent fermer en 2020. Deux autres pourraient fermer en 2025/26, sous réserve que la sécurité d'approvisionnement soit assurée et que les prix de l'électricité atteignent un niveau tellement bas que cela nuirait à la compétitivité de l'électricité produite par des réacteurs prolongés. Afin d'anticiper cette situation trois ans à l'avance, une coordination devra être opérée avec nos voisins européens, qui fera l'objet d'un rapport remis au gouvernement par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avant le 1er décembre 2022.

Au total, ce sont 14 réacteurs qui devront fermer d'ici à 2035, le principe général appliqué étant celui d'une fermeture au plus tard à l'échéance de la cinquième visite décennale, c'est-à-dire lorsque les réacteurs atteignent 50 ans. Cette durée étant celle appliquée par EDF pour l'amortissement comptable de son parc, l'Etat considère que ces fermetures ne devront donner lieu à aucune indemnisation, un point de vue dont il n'est pas certain qu'il soit partagé par l'opérateur, qui raisonne plutôt en termes de manque à gagner sur des installations dont l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne demande pas la fermeture pour raisons de sécurité.

Une PPE fondée sur une forte hausse des exportations

Au vu de capacités de production nucléaires en faible diminution et d'une addition relativement importante de capacités de production d'électricité renouvelable, cela signifie que le solde entre une production accrue et une consommation quasiment stable doit être absorbé par une hausse importante des exportations. Alors qu'elles s'établissent en moyenne à 56 térawattheures (TWh) entre 1990 et 2017, il est prévu qu'elles atteignent 130 TWh à l'horizon 2035.

Ce chiffre résulterait de l'observation des trajectoires de nos voisins, dont les Anglais, les Italiens, les Espagnols et même les Allemands, bien que l'échéance reste aujourd'hui floue) qui ont entamé leur sortie du charbon et dont certains autres projets (tels que le nucléaire en Angleterre) pourraient ne pas se développer aussi rapidement que prévu. Qu'importe si certains parmi eux ne souhaitaient pas s'approvisionner en nucléaire français. Si chaque État membre choisit son mix énergétique domestique, pour ses importations en revanche c'est la loi de la physique (proximité de la production et existence d'interconnexions) et des prix qui s'applique.

Mais qu'adviendrait-il dans le cas où cette situation de surcapacité n'était pas l'apanage de la France, mais concernait également d'autres pays, rendant ainsi difficiles les exportations françaises et faisant baisser les prix de l'électricité sur les marchés ? Au ministère de la transition écologique, on affirme que les volumes d'appels d'offres prévus ne sont pas soumis à des conditions de prix de marché. Autrement dit, la variable d'ajustement serait plutôt du côté d'une accélération des fermetures de réacteurs que sur un ralentissement du développement des énergies renouvelables...