Énergies renouvelables : la Cour des comptes pointe l’inefficience des politiques de soutien

Par Dominique Pialot  |   |  1360  mots
L'éolien offshore symbolise les dysfonctionnements pointés par la Cour des comptes dans les politiques de soutien aux énergies renouvelables. (Crédits : Reuters)
En pleine révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un rapport de la Cour des comptes, rendu public le 18 avril, relève le coût et surtout l’inefficacité du soutien public aux énergies vertes, que ce soit pour atteindre les objectifs nationaux ou pour développer des filières industrielles nationales. Les sages de la rue Cambon préconisent plus de transparence et plus de concertation, notamment avec le Parlement.

De 9,2% en 2005, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français est passée à 15,7% en 2016. Sans être anecdotique, cette progression reste insuffisante pour mettre la France sur la trajectoire qui doit lui permettre d'atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés, d'abord dans la transposition d'une directive européenne puis dans le cadre de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte. Il est de notoriété publique que les 23% prévus pour 2020 ne seront pas atteints, et il faudrait un sérieux coup d'accélérateur pour respecter les 32% en 2030.

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir beaucoup dépensé. Trop selon la Cour des comptes. Et surtout mal. Depuis l'instauration des tarifs d'obligation d'achat en 2005, ce sont 5,3 milliards d'euros qui ont été dépensés en 2016, un montant qui passera à 7,5 milliards en 2023 si rien ne change.

Les deux-tiers des dépenses engagées avant 2011

L'essentiel des dépenses aujourd'hui engagées l'a été avant 2011, date du moratoire imposé aux tarifs de rachat dans le solaire. Depuis, les appels d'offres remplacent peu à peu les tarifs d'achat, et les prix se rapprochent petit à petit des prix de marché. Comme l'a rappelé le Syndicat des énergies renouvelables (SER) en réaction à ce rapport, les investissements consentis dans les premières années ont permis d'importants progrès et baisses de prix. Les derniers appels d'offres ont en effet été remportés à 55 euros/MWh pour le solaire et 65 euros/MWh pour l'éolien terrestre.

« Il convient de noter qu'à partir de 2025, le "poids des engagements antérieurs" commencera à diminuer », a souligné Jean-Louis bal, président du le Syndicat des énergies renouvelables (SER), auditionné le 18 avril par la Commission des finances du Sénat.

En plus de résultats globalement insatisfaisants en termes de volumes installés, ces dépenses ont été faites de façon très déséquilibrée. Ainsi, alors qu'elles représentent 60% de la production française, les EnR thermiques n'ont bénéficié que d'un dixième des subventions distribuées, quand l'électricité en mobilisait les neuf-dixièmes. À lui seul, le solaire photovoltaïque devrait absorber 2 milliards d'euros par an d'ici à 2030, alors qu'il ne représente que 0,7% du mix énergétique français.

En réaction, SER s'est réjoui d'un constat qu'il partage et a réitéré, « sa demande de doubler le Fonds chaleur pour porter la part de la chaleur renouvelable de 20% à 38% d'ici à 2030, conformément aux objectifs fixés par la Loi de transition énergétique. »

Aucun industriel national champion des énergies vertes

La Cour déplore en outre qu'en dépit des sommes englouties par les énergies vertes, la France ne soit parvenue à faire naître aucun grand champion national dans aucune des technologies explorées.

L'éolien offshore est l'archétype de ces dysfonctionnements. Aux tarifs accordés en 2012 et 2014, les six parcs d'ores et déjà attribués au large des côtes françaises devraient coûter 2 milliards d'euros par an sur 20 ans, soit un montant total de 40,7 milliards, pour une part de 2% du mix énergétique. Alors que les parcs ne verront pas le jour avant 2020 ou 2021, ces tarifs (de 190 euros/MWh en moyenne) apparaissent aujourd'hui exorbitants au regard des prix proposés ces derniers mois par les développeurs de nouveaux projets en mer du Nord.

Les lauréats de ces premiers appels d'offres français (EDF, Engie, mais aussi Iberdrola et WPD) ont beau justifier cet écart par la progression des technologies dans l'intervalle et des situations géographiques incomparables, une partie du surcoût est liée aux exigences des pouvoirs publics en termes de création d'emplois et de valeur sur le sol français. Las ! Depuis, les deux principaux fabricants d'éoliennes ont soit, pour Alstom, été racheté par un groupe étranger (GE, qui en l'espèce honore pour l'heure les engagements pris à l'époque par le français) soit, pour Areva, disparu totalement de cette industrie après son absorption par Gamesa ensuite marié à Siemens.

L'État essaie d'ailleurs de renégocier les tarifs, y compris en faisant planer la menace d'une annulation pure et simple des projets et le lancement d'un nouvel appel d'offres. Ce fiasco est également lié aux délais nécessaires à l'obtention des différentes autorisations nécessaires et aux nombreux recours déposés contre les projets, un sport dans lequel la France excelle.

D'où la proposition de la rue Cambon de simplifier et d'accélérer les procédures d'appels d'offres et d'autorisations administratives ainsi que les procédures de recours.

Mieux associer le Parlement

Tout en reconnaissant la nécessité de soutenir les énergies renouvelables, d'autant plus en période baissière sur le pétrole et les énergies fossiles, et en saluant la réforme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et la création du CAS (compte d'affectation spécial), la Cour des comptes suggère plus de transparence et de coordination sur l'élaboration de la politique énergétique française et de son coût, et notamment d'y associer le Parlement.

Regrettant que la définition de la politique énergétique française relève aujourd'hui de la seule Direction de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'Énergie, le rapport suggère, par exemple, la création d'un comité regroupant l'ensemble des parties prenantes concernées, sur le modèle du Conseil d'orientation des retraites (COR), et la création d'une instance interministérielle associant notamment la recherche et l'industrie, une proposition à laquelle le Premier ministre se serait montré réceptif.

Il recommande également que soient publiés les coûts et des prix de production de toutes les composantes du mix énergétique ainsi que leur évolution, et insiste pour que les décisions prises soient cohérentes, estimant au passage que tel n'était pas le cas de la baisse du nucléaire à 50% du mix énergétique en 2025.

200.000 emplois d'ici 2030

Les réactions des professionnels des énergies renouvelables sont partagées. Un point cependant fait consensus : le bilan industriel décevant. Aux yeux des professionnels relayés par le SER, « avec une politique énergétique stable et ambitieuse, inscrite dans une programmation pluriannuelle, la France peut encore structurer des filières industrielles. » Aussi bien veut croire le SER, dans l'éolien et le solaire photovoltaïque, que dans des technologies en phase de déploiement telles que la méthanisation ou les énergies marines renouvelables.

« D'une manière générale, cet engagement ne peut être apprécié du seul point de vue du coût pour la puissance publique, a souligné le syndicat. En effet, cet investissement a déjà créé de nombreux emplois et permettra d'en créer encore plus de 200.000 d'ici 2030. Les bénéfices environnementaux et sanitaires, si on les monétarise, peuvent par ailleurs dépasser les coûts du soutien public comme le montre l'Ademe dans une étude sur l'éolien terrestre. »

Pain béni pour les promoteurs du nucléaire ?

Tout en reconnaissant que le rapport de la Cour des comptes va dans le bon sens, Emmanuel Soulias, directeur général de la coopérative d'énergie verte Enercoop, regrette pour sa part qu'il ne reconnaisse pas « l'importance de la dynamique territoriale et démocratique à mettre en place pour faciliter la transition énergétique et de meilleures retombées locales ».  Il craint par ailleurs que « le recours aux appels d'offres, recommandé par la Cour des comptes, fragilise les petits producteurs et l'énergie citoyenne. » Enfin, il regrette que le rapport fasse « l'impasse sur l'utilité des fournisseurs d'énergie verte et de l'ouverture de l'obligation d'achat dans le développement de ces énergies. »

Et conclut :

« En continuant ainsi, la France risque de rester engluée dans le piège nucléaire et de rater l'opportunité d'une réelle transition énergétique porteuse de valeurs économique, environnementale et sociale. »

Il est vrai que l'impact de ce rapport en pleine révision de la PPE, et alors que la filière nucléaire fait feu de tout bois pour faire la preuve de sa compétitivité, ne sera probablement pas anodin.