Éolien offshore : l’État veut tordre le bras aux énergéticiens

Avec le projet d’amendement déposé vendredi au Sénat, qui lui donne la possibilité d’annuler les projets attribués lors des deux premiers appels d’offres de 2012 et 2014, l’exécutif met la pression sur EDF, Engie et Iberdrola pour renégocier à la baisse les tarifs accordés à l’époque. Au risque de créer un précédent et d’envoyer un très mauvais signal aux investisseurs.
Dominique Pialot
L'éolien offshore français dans la tempête
L'éolien offshore français dans la tempête (Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)

On savait la situation tendue, du fait de l'écart entre les tarifs obtenus en 2012 et 2014 par les attributaires des premiers projets d'éolien offshore en France (évalués entre 170 et 200 euros/MWh) et les appels d'offres récemment remportés à des prix inférieurs à 50 euros, voire sans aucune subvention pour certains d'entre eux remportés à l'automne dernier. Un écart notamment imputable à l'évolution technologique et à l'apparition entre temps d'éoliennes plus grandes et plus puissantes, ainsi qu'à une surcote correspondant à la création d'une filière industrielle sur le territoire français, qui avait conduit le gouvernement à donner un poids significatif au contenu local dans les notes attribuées aux différents projets.

L'été dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait souligné le coût public des 3.000 MW concernés : 40,7 milliards sur 20 ans à compter de 2021 (date prévue pour l'entrée en service des parcs).

L'Élysée n'entérine pas le « profit sharing »

C'est pourquoi l'État a entamé des négociations avec les différents acteurs, EDF (qui, misant sur un rejet par le Conseil d'État du dernier recours contre le projet de Saint-Nazaire, espérait il y a encore quelques jours pouvoir lancer les travaux d'ici cet été), Engie et Iberdrola. En décembre dernier, ils s'étaient mis d'accord sur le principe d'un partage des éventuelles surperformances constatées par rapport aux taux de retour initialement calculés, un accord qui devait être notifié à Bruxelles. Sans doute certains se sont-ils montrés trop intraitables, ou l'exécutif at-il voulu s'épargner de fastidieuses discussions sur le calcul de ladite surperformance....

Toujours est-il que le projet d'amendement déposé vendredi auprès du Sénat a fait l'effet d'une bombe. D'autant plus qu'il aurait été modifié in extremis dans la nuit précédent. Initialement prévu pour autoriser la renégociation des tarifs d'un point de vue légal, il laisse désormais ouverte l'éventualité d'une annulation pure et simple des appels d'offres et la remise en jeu des zones. Au Syndicat des énergies renouvelables (SER), on indique que cet accord dit de « profit sharing » n'a pas été entériné à l'Elysée.

Comparer ce qui est comparable

La méthode adoptée, interprétée comme une position de négociation brutale, suscite de vives inquiétudes. Utilisée par le gouvernement belge il y a quelques années, elle avait abouti à certaines renégociations mais aussi à l'abandon de certains projets et avait entraîné beaucoup de retard.

« C'est un affichage pour essayer de montrer que les lauréats sont en mesure de se caler au plus près des tarifs récemment attribués, estime Marion Lettry, déléguée générale adjointe du SER. Même si en comparant les tarifs français avec ceux accordés à d'autres parcs à la même période et en faisant abstraction des taxes, on n'est pas très éloignés », assure-t-elle.

 « Nous avions montré dans une étude quels facteurs expliquaient  l'écart de prix entre les projets des premiers rounds français et ceux récemment attribués en Mer du Nord, dans des conditions très différentes, et alors que la technologie, les gains de filière industrielle et les coûts de financement ont évolué de façon favorable », confirme Pascale Jean, associée Energie et Utilities chez PwC.

Dans l'hypothèse où les zones seraient remises en jeu, « il faudrait compter avec cinq à six ans de retard sur le calendrier actuel », souligne Marion Lettry. Certains délais (autorisations, recours, etc.) sont incompressibles. »

Stratégie industrielle et PPE remises en cause

Surtout, c'est toute une stratégie industrielle qui serait remise en cause. A Saint-Nazaire, l'usine que General Electric a reprise en rachetant Alstom Energie emploie 450 personnes pour y fabriquer les nacelles et génératrices de l'Haliade de 6 MW. GE vient d'annoncer il y a quelques jours qu'il y fabriquerait également sa prochaine machine, une turbine de 12 MW, dont il prévoit d'amorcer la livraison d'ici à 2021.

A l'inverse d'Iberdrola et Engie, qui, suite à la cessation d'activité d'Areva, ont fait entériner par l'État le passage à des turbines Siemens-Gamesa de 8 MW en lieu et place des modèles Areva de 5 MW initialement prévus, EDF EN, son client français, n'a pas prévu de modifier son projet.

« D'un point de vue industriel et vis-à-vis de nos engagements européens sur la transition énergétique, il n'est pas envisageable que ces parcs ne se fassent pas », estime Alexis Bossut Directeur Transactions Services dans ce secteur chez PwC.

La remise en cause de ces projets entraînerait aussi un manque de puissance (3 GW prévus par la programmation pluriannuelle de l'énergie) à compenser par d'autres sources d'énergie. Ce qui en théorie pourrait être entériné dans le cadre de l'actuelle discussion portant sur la période 2023-2028.

Signal désastreux aux investisseurs et à toute la filière des renouvelables

Un spécialiste du financement s'en remet aux analyses des avocats : s'agit-il de donner un cadre officiel aux négociations en cours ou y a-t-il une vraie volonté de remettre les projets en cause ? « Revenir sur des engagements pris il y a six ans enverrait un signal assez déplorable aux investisseurs », prévient-il. Aussi bien à ceux en négociation pour des prises de participation dans ces parcs des premiers rounds, qu'aux industriels intéressés par le troisième round.

«  En procédant de la sorte, l'État pénalise l'ensemble des acteurs, sur des projets longs et risqués, auxquels vient s'ajouter une incertitude sur la rémunération, alors qu'il est lui-même actionnaire de certains d'entre eux et que plusieurs décisions récentes avaient remis les projets sur les rails », commente Vincent Ducros, Senior Manager Energies & Utilities chez PwC France.

Au-delà de la filière éolienne offshore, c'est tout le secteur des énergies renouvelables qui pâtirait d'une telle décision rétroactive.

« En Espagne, lorsque le gouvernement a fait de même, pas un seul mégawatt n'a été installé pendant cinq ans », rappelle ce spécialiste du financement de projets.

Le projet d'amendement doit être discuté au Sénat le 13 ou 14 mars, et le projet de loi présenté fin avril ou début mai. Une loi pour « l'État au service d'une société de confiance » qui porte bien mal son nom...

Dominique Pialot

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Commentaires 21
à écrit le 18/03/2018 à 20:36
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AREVA Wind développait une éolienne de 8MW non pas 5MW de l'article (Adwen AD8-180) et qui devait équiper les parcs éoliens en mer des Iles d’Yeu et de Noirmoutier et de Dieppe - Le Tréport. Après la reprise d'AREVA Wind par Gamesa, c'est Siemens-Gam...

à écrit le 14/03/2018 à 23:53
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@Dominique Pialot "La remise en cause de ces projets entraînerait aussi un manque de puissance (3 GW prévus par la programmation pluriannuelle de l'énergie) à compenser par d'autres sources d'énergie." Interprétation erronée. Les énergies intermitt...

le 15/03/2018 à 20:15
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Le débat sur l"arrêt du nucléaire est vain si on ne change rien et à périmètre constant. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien changer. Les Japonais aussi étaient sûrs de leur filière et pensaient que le débat était vain... On sait bien que l...

à écrit le 13/03/2018 à 18:25
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Et le consommateur d'électricité dans tout çà?

à écrit le 13/03/2018 à 16:00
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Le marché se durcit, apparemment : l'Etat ne subventionne plus autant qu'avant pour sauver la planète, et on va avoir du mal à faire fortune dans les énergies renouvelables. Dieu merci, il reste les start-ups du numérique.

à écrit le 13/03/2018 à 13:15
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Je suis d'accord avec l'objectif : si on sais que les prix réels seront inférieur, c'est normal de vouloir économiser l'argent public (nos impôts) Mais un contrat est un contrat, et si quand un contrat est conclu, il suffit de revenir 2 ans après ...

à écrit le 13/03/2018 à 11:55
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Au lieu d nous imposer des politiques favorables aux EnR intermittentes, il serait plus judicieux de privilégier les EnR permanentes. A savoir, méthanisation, géothermie, hydrolien maritime. Quelle utilité d’ériger hors de certaines zones bien venti...

à écrit le 13/03/2018 à 11:42
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L'éolien ca ne marche pas compte tenu des connaissances actuelles (4000 éoliennes installées en France pour seulement 4% de la puissance produite), en outre un rachat de 200€ le MWh contre 60€ en Allemagne et RU comme je l'ai découvert ce matin impos...

à écrit le 13/03/2018 à 11:31
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Les énergéticiens n’y sont pour rien et en général s’il y a du retard il est souvent du aux instances elles mêmes. En raison également de cette manie (quelque peu spécifique à la France), qui consiste à lancer des projets démesurés, ou à ne rien fair...

à écrit le 13/03/2018 à 10:03
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La maison est en carton, girouette cacahuète !

à écrit le 13/03/2018 à 8:26
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Au lieu de prendre des décisions contraires au développement de l'éolien offshore ce gouvernement devrait plutôt permettre de remlacer les éoliennes initialement prévues par des plus performantes sans procédures supplémentaires. vu la durée indécente...

à écrit le 13/03/2018 à 7:44
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En même temps que notre Président Macron prend des initiatives pour le développement des énergies renouvelables en Inde certains ici en France prennent des initiatives pour saboter le développement de ces mêmes énergies renouvelables....Pas étonnant ...

à écrit le 13/03/2018 à 5:32
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gestion désastreuse comme toujnours de ces "zélites énarques"... malgré les dizaines de conseillers, ils prennent des décisions sur des coins de table.... la seule solution qu ´ils trouvent est par la suite d´annuler les projets (ecomouve de Royal...

à écrit le 12/03/2018 à 23:54
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L'Etat se préoccupe de la rationalité des dépenses publiques, qui peut lui reprocher de vouloir remettre en cause des deals qui vont nous plomber pour 50 ans ? Très mauvais signal ? Moi je ne trouve pas, je trouve rassurant que l'Etat s'occupe d'ess...

à écrit le 12/03/2018 à 19:54
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la frnce est un pays du tiers monde ou apres avoir signe un accord, l'etat explique pourquoi il ne va pas le respecter......... est ce utile de le repeter, a l'international, le doux surnom de la france c'est 'Bananerepublik' ( pas besoin de parler a...

à écrit le 12/03/2018 à 19:20
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Et bizarrement on est dans le domaine du renouvelable le plus productif, régulier et le moins couteux. Ah le lobby pétrolier et nucléaire réagit par l'intermédiaire de son porte parole Macron. On n'a pas fini de couler en UE avec une compromissio...

le 12/03/2018 à 21:27
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On ne voit pas en quoi un frexit changerait cette détestable (et ruineuse) habitude franco-française de remettre régulièrement en cause ses choix et engagements antérieurs, souvent au mépris de toutes les procédures légales ou démocratiques. Que ce s...

le 13/03/2018 à 7:12
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Vous suggerez un retour a la monnaie "Franc" ? Si c'est le cas, l'ardoise a payer sera lourde, & les francais mangeront des racines.

le 13/03/2018 à 8:47
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"On ne voit pas en quoi un frexit changerait cette détestable (et ruineuse) habitude franco-française de remettre régulièrement en cause ses choix et engagements antérieurs, souvent au mépris de toutes les procédures légales ou démocratiques" Cel...

le 13/03/2018 à 22:18
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On se demande bien, en cas de frexit, sur le dos de qui les dirigeants français mettraient les décisions qu'ils refusent actuellement d'assumer par lâcheté. L'UE a ceci de commode qu'elle permet de mettre sur son dos sans provoquer de drame diplomati...

le 15/03/2018 à 10:53
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"On se demande bien, en cas de frexit, sur le dos de qui les dirigeants français mettraient les décisions qu'ils refusent actuellement d'assumer par lâcheté." On s'en tape, on en est plus à ce stade de réflexion, cela obligerait nos comptables, i...

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