Hinkley Point ou renouvelables, telle est la question au Royaume-Uni

Par Giulietta Gamberini  |   |  1443  mots
Tel qu'il est conçu, le projet d'Hinkley Point est-il adapté aux futurs besoins énergétiques du Royaume-Uni, se demandent de plus en plus les experts et la presse anglais?
Alors que l’opinion britannique doute de plus en plus de l'intérêt d'une nouvelle centrale nucléaire, le feu vert a été donné au développement de la plus grande ferme éolienne offshore du monde. Dans un contexte budgétaire contraint, nucléaire et énergies renouvelables s'opposent de plus en plus frontalement dans l'opinion publique. Et, de plus en plus souvent, au bénéfice de ces dernières.

EDF comme le gouvernement français, depuis le ministre de l'économie Emmanuel Macron jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, tiennent dur comme fer à Hinkley Point. L'avenir du nucléaire tricolore semble en effet suspendu à ce projet de construction de deux réacteurs EPR dans le sud-ouest de l'Angleterre -confié au Français avec la participation financière du Chinois CGN. Mais, après la démission en mars dernier du directeur financier et les doutes suscités en interne sur le bien-fondé de ce gigantesque investissement (18,5 milliards de livres sterling, soit 21,7 milliards d'euros) au regard de la situation financière de l'entreprise, après le revirement du gouvernement britannique post référendum -il a annoncé le 28 juillet vouloir réexaminer le projet de construction- c'est maintenant dans l'opinion publique britannique que le scepticisme rencontre un écho grandissant. Au-delà des doutes concernant l'opportunité, en matière de sécurité nationale, de confier la centrale d'Hinkley Point C à des acteurs étrangers, l'opposition entre investissement dans le nucléaire et développement des renouvelables, jusqu'alors soulevée seulement par quelques experts militants, émerge désormais dans le débat public.

The Economist lui-même, magazine plus connu pour sa fidélité aux lois du marché que pour son engagement pro-environnemental, consacre au projet un article au titre plus qu'explicite : Hinkley Pointless ("Hinklinutile", pourrait-on traduire en français).  Le Crown Estate, l'institution chargée de gérer le portefeuille des actifs associés à la Couronne britannique et qui à ce titre octroie les sites réservés aux fermes éoliennes en mer, approuve pour sa part la pause de réflexion que s'est accordée Theresa May, en suggérant de la mettre à profit pour évaluer les avantages d'autres sources d'énergie alternatives.

L'éolien et le solaire de moins en moins cher

De ce point de vue, le premier aspect en cause est le prix. Alors que celui de l'électricité produite par Hinkley Point est critiqué pour son niveau élevé, la baisse des coûts des renouvelables suscite beaucoup d'espoirs. Afin de permettre une certaine visibilité et un retour sur investissement à EDF, le gouvernement anglais a en effet convenu en 2012 de payer à l'électricien français pendant 35 ans un prix d'exercice fixé à 92.50 livres sterling (107,7 euros) par mégawattheure (MWh). Cela représente déjà plus du double du prix de l'électricité aujourd'hui (environ 40 livres). Dans un rapport encore non publié, le ministère de l'énergie britannique lui-même anticipe en outre pour l'éolien terrestre et le solaire des prix inférieurs à ceux du nucléaire une fois qu'Hinkley Point sera terminé, rapporte The Guardian: entre 50 et 70 livres en 2025, contre une fourchette de 85 à 125 livres par MWh pour le nucléaire. Lors des dernières prévisions établies en 2010 et 2013, le nucléaire s'était toujours avéré l'option la plus intéressante sur le plan économique. "Pendant les six dernières années, le gouvernement britannique a baissé d'un tiers les prévisions de coûts pour la production d'électricité de l'éolien terrestre en 2025, et du solaire de deux tiers", ajoute The Economist.

Selon Dong Energy, le plus grand opérateur (danois) de fermes éoliennes offshore britanniques, une subvention de 85 livres par MWh assurerait la rentabilité du secteur. Aux Pays-Bas, le dernier appel d'offres pour une ferme éolienne offshore de 700 MW fixait d'ailleurs des prix d'environ 80 livres par MWh, fait remarquer le Crown Estate, cité par The Guardian. L'institution anglaise souligne en outre que les prix de construction des fermes éoliennes offshore sont d'ores et déjà inférieurs à l'investissement nécessaire pour Hinkley Point.

Un investissement inadapté à un marché en pleine évolution

Sur le long terme, la question du prix devient stratégique : pourquoi engager un investissement si lourd, à des conditions de surcroît fixées en 2012, dans un secteur en pleine transformation comme celui de l'énergie? Et surtout, tel qu'il est conçu, le projet est-il adapté aux futurs besoins énergétiques du Royaume-Uni ? La société d'investissement RBC Capital Markets en doute : "Nous nous demandons si générer de l'électricité à une si large échelle est nécessaire dans un marché qui change et se décentralise rapidement", observe-t-elle. Alors que The Economist se montre encore plus radical:

"L'une des rares certitudes est que Hinkley n'est pas le type de centrale dont un pays riche voudra encore longtemps", estime le journal, pour qui "le type d'énergie permanente qu'elle délivre n'est plus ce qui est demandé".

Même si "l'énergie nucléaire a encore un avenir", "les projets importants et actifs en permanence comme Hinkley, qui aspire à satisfaire 7% des besoins énergétiques de la Grande Bretagne, ne conviennent pas. Les renouvelables générant une part croissante de l'énergie du pays, la demande portera sur des sources capables de couvrir des pénuries intermittentes", explique le journal britannique. Il serait alors plus logique d'investir dans des centrales à gaz, "qui peuvent être construites rapidement, dont le fonctionnement coûte peu cher et qui peuvent mises en service ou arrêtées selon le besoin".

L'essor des énergies renouvelables entravé?

En outre, la lourdeur de l'investissement dans Hinkley Point risque de freiner l'essor des renouvelables au Royaume-Uni, s'inquiètent certains. "Ne croyez pas au battage médiatique: ce n'est pas 'nucléaire et renouvelables' -en raison du véritable coût du nucléaire, c'est 'nucléaire ou renouvelables'", met en garde Paul Dorfman, chercheur à l'Energy Institute de l'University College of London, cité par The Guardian. En tenant compte des temps longs impliqués par la construction et les retards d'Hinkley, le projet risquerait ainsi de devenir, paradoxalement, une véritable entrave à sa finalité même : combler le gap énergétique dont pourrait souffrir le pays, qui s'apprête à fermer progressivement ses centrales à charbon afin de remplir ses engagements européens en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Cette vision contraste toutefois radicalement avec celle mise en avant par l'organisation de l'industrie du nucléaire (Nuclear Industry Association) qui, par la voix de son PDG Tom Greatrex, insiste :

"Nous ne devrions pas opposer les technologies les unes aux autres. L'ampleur du défi fait que nous avons besoin de toutes les solutions disponibles pour répondre à nos besoins énergétiques, puisque 65% de notre capacité prendra fin entre 2010 et 2030".

Des résultats encourageants

Cette question de la capacité pourrait d'ailleurs mettre un terme au débat; c'est l'argument ultime sur lequel s'appuient les partisans des renouvelables. L'Anglais Jeremy Leggett, fondateur du fabricant de panneaux solaires Solarcentury, en est persuadé: "Si nous accélérons les renouvelables au Royaume-Uni, nous pouvons répondre à 100% de la demande bien avant 2050". Les estimations de l'énergéticien public britannique semblent confirmer ces espoirs: selon National Grid, cité par The Guardian, la mer pourrait fournir environ la moitié de l'énergie du pays avant 2030, en combinant l'éolien offshore avec les technologies marémotrices et en multipliant les interconnexions avec des pays voisins affichant structurellement des surplus d'électricité (Nord de l'Europe et Islande notamment).

Et au-delà des pronostics, les résultats déjà atteints, au Royaume-Uni comme à l'étranger, renforcent la confiance. Dans un rapport récent, le gouvernement anglais calcule que pendant le premier trimestre de l'année les renouvelables ont déjà fourni un quart de la capacité totale du pays, dont la moitié a été générée par l'éolien. Au mois de mai dernier, l'énergie générée par le solaire a dépassé celle produite par les centrales à charbon.

L'accord avec EDF, une "mésaventure"

A peine Londres s'était-il accordé un délai sur Hinkley Point qu'il donnait son feu vert à un projet privé de construction de la plus grande ferme éolienne offshore du monde. Hornsea 2 devrait voir le jour en mer du Nord, au large du Yorkshire. Si Dong Energy, en charge du projet, décide de se lancer dans son financement et sa réalisation, 300 turbines pourraient ainsi s'ajouter au 170 déjà en cours de construction dans le cadre de la phase 1 du projet. Au niveau mondial, selon l'organisme représentant l'industrie éolienne, le Global Wind Energy Council (GWEC), pour la première fois à la fin de 2015 la capacité du secteur (432.42 gigawatts) dépassait celle du nucléaire (382.55 gigawatts).

Face à la ressource potentielle représentée par le grand large au Royaume-Uni, les investissements devraient donc plutôt porter sur les nouvelles solutions de stockage d'énergie, principal obstacle à l'essor des renouvelable et terrain fertile d'innovation aujourd'hui, considèrent nombre d'experts. Et The Economist de conclure:

 "La Grande-Bretagne devrait sortir de l'accord et les autres pays devraient tirer des leçons de sa mésaventure".