La France veut exonérer les centrales à gaz d'un prix plancher appliqué au carbone

Par Dominique Pialot  |   |  799  mots
centrales à charbon (Crédits : REUTERS/Ina Fassbender)
Gérard Mestrallet, Pascal Canfin et Alain Grandjean ont remis à Ségolène Roral leurs « Propositions pour des prix du carbone alignés avec l’Accord de Paris ». Celles-ci concernent les échelons national, européen et international. Pour La France, la ministre semble avoir opté pour une taxe réservée aux seules centrales charbon.

Le constat fait consensus : le fonctionnement actuel du marche européen du carbone (ETS) ne permettra pas aux Etats membres d'atteindre les objectifs qu'il se sont collectivement fixés lors de la COP21. Comme la majorité des experts, Gérard Mestrallet, président d'Engie, Pascal Canfin, ancien ministre du développement aujourd'hui directeur du WWF France et Alain Grandjean, économiste spécialiste du climat, estiment que les pistes sur la table pour la réforme prévue de l'ETS ne sont pas de nature à le rendre suffisamment efficace.

Dans le cadre de la mission que leur avait confiée la ministre de l'Environnement et de l'Energie, ils ont rendu ce 11 juillet un rapport de 100 pages contenant 10 propositions. La principale de ces propositions concerne la mise en œuvre d'un « corridor pour le prix du carbone », déjà préconisé par Alain Grandjean et Pascal Canfin il y a un an, et également développé par les think tank The Shift Project et I4CE (Institute for climate economics, ex. CDC Climat). En résumé, il s'agit dans le cadre des enchères de quotas carbone de fixer à la fois un prix plancher et un prix plafond, appelés à augmenter dans le temps de façon à une vitesse annoncée d'entrée de jeu. Une mesure, soulignent les auteurs du rapport, qui se veut complémentaire de la réforme déjà prévue à laquelle elle ne prétend pas se substituer.

La production électrique, premier gisement de réduction des émissions

Considérant que la production de l'électricité est l'un des secteurs où l'on peut « économiquement, techniquement et politiquement », faire le plus de progrès en termes d'émissions de CO2, les experts missionnés par Ségolène Royal y ont donc concentré leurs réflexions.

Plusieurs objectifs de la mission ont été rappelés : donner de la visibilité aux acteurs économiques (qui depuis le « Business & climate day » de mai 2015 et plus encore depuis la COP21 sont en effet nombreux à réclamer un prix du carbone) ou encore, conformément aux engagements prix dans le cadre de la « Carbon Pricing Leadership Coalition » en juin, de porter la proportion des activités mondiales couvertes par une taxation du carbone sous une forme ou une autre de 12% aujourd'hui à 25% en 2020 et 50% en 2030.

Préserver la sécurité d'approvisionnement ou les centrales à gaz ?

Mais ce qui a surtout retenu l'attention, ce sont les commentaires des trois auteurs et de la ministre quant à l'instauration unilatérale d'un prix plancher pour le carbone évoquée par François Hollande lors de la dernière conférence environnementale. Alors que le président avait mentionné son application dans la production électrique en général, et quand bien même le rapport remis aujourd'hui à la ministre évoque trois options, Ségolène Royal semble bel et bien avoir tranché en faveur d'une taxe uniquement appliquée aux centrales à charbon, et exonérant les centrales à gaz :

« Concernant le prix plancher du carbone sur le secteur électrique français, annoncé par le président de la République lors de la conférence environnementale, je retiens la proposition du rapport de le concentrer sur les centrales à charbon. »

Principale raison invoquée : la nécessité de conserver en fonctionnement les centrales à gaz, les plus adaptées au pilotage de la pointe électrique et de préserver la sécurité d'approvisionnement du pays. En revanche, bien qu'il soit également question de protéger la production française de la concurrence d'importations forcément plus carbonées, le projet ne dit pas comment cette mesure protégera les centrales à gaz françaises de la concurrence d'une production électrique allemande issue de charbon, mais non taxée.

Inscription dans la prochaine loi de finances

Soucieuse néanmoins d'éviter que cette mesure puisse être retoquée (comme l'avait été en décembre 2009 un premier projet de taxe carbone en raison de trop nombreuses exonérations concédées à certains secteurs industriels), Madame Royal a annoncé qu'elle missionnait des inspecteurs du Ministère des finances, de l'économie et de la commande publique dont les conclusions sont attendues d'ici à la fin du mois de juillet. Cela doit permettre d'inclure la mesure dans le prochain projet de loi de finances.

S'il s'agit in fine de fermer les quatre centrales au charbon que compte encore l'Hexagone (détenues par l'allemand Uniper - ex. E.ON - et par EDF), était-il bien nécessaire d'en passer par ce projet complexe ? A moins, bien sûr, de miser sur cette « exemplarité » pour entraîner derrière soi les autres Etats membres et européens et même au-delà, puisque Ségolène Royal entend proposer au président de la Banque Mondiale lui-même une initiative de haut niveau portant sur le prix du carbone.