La France peut-elle devenir un leader de la finance verte ?

L’émission d’obligations « vertes » souveraines et l’instauration d’un prix plancher du carbone sur la production d’électricité auront été les principales annonces de la conférence environnementale qui s’est tenue les 25 et 26 avril. Où en est l’application concrète de ces mesures ? Le point avec Pascal Canfin, directeur général du WWF France.
Dominique Pialot
En rejoignant l'Angleterre, qui a déjà instauré une mesure similaire, la France deviendrait d'autant plus légitime à se positionner sur le sujet à l'échelle européenne.

Les « green bonds », ces obligations vertes apparues il y a moins de 10 ans, ne pèsent encore pas grand chose dans la masse des obligations émises dans le monde : quelque 100 milliards de dollars sur un total de 100 000 milliards de dollars... Mais leur développement est vertigineux : passé de 4,5 milliards en 2012 à 42 milliards en 2015, leur montant devrait atteindre 70 milliards en 2016. Sous l'effet de la COP21, leur progression au premier trimestre a été trois fois plus rapide que sur la même période de 2015.

Verdir la dette souveraine

D'abord l'apanage d'institutions financières telles que la Banque européenne d'investissement, la Banque mondiale ou l'AFD, elles ont remporté récemment les faveurs des émetteurs « corporate », banques privées mais aussi entreprises. En France, c'est EDF qui a ouvert la voie fin 2013, bientôt suivie par Engie.

Mais, alors que la dette souveraine pèse environ la moitié du marché obligataire, aucun Etat n'émet aujourd'hui directement d'obligations vertes.

« Puisqu'on demande aux investisseurs de verdir leurs placements et de rendre des comptes sur l'empreinte carbone de leur portefeuille et leur prise en compte du risque climatique, la logique voudrait qu'on leur propose des outils ad-hoc »,

observe Pascal Canfin, ancien ministre délégué au Développement désormais directeur général du WWF France et particulièrement impliqué dans les questions de « finance climat ». Ces outils existent déjà pour les marchés actions, les obligations « corporate » ou celles émises par des institutions publiques. Après les engagements pris lors de la COP21 et le rapport du think tank New Climate Economy montrant que la bascule vers une économie bas-carbone serait atteignable en réorientant des flux financiers existants, ce serait étrange que l'Etat soit le seul acteur qui n'y contribue pas... D'autant plus qu'il est l'investisseur naturel dans les infrastructures, essentielles pour opérer cette bascule.

Mettre en œuvre la parole présidentielle

Pourquoi la France serait-elle le premier pays à sauter le pas, alors que cela l'obligerait à enfreindre le « principe d'universalité du budget » cher au Trésor, selon lequel il est impossible d'affecter certaines recettes à des dépenses en particulier? « Parce que c'est, avec la Chine, l'une des places financières où les green bonds sont le plus développés », rappelle Pascal Canfin. « Je n'ai pas vu la note juridique du Trésor mais je suis très réservé sur le caractère immuable de ce principe », ajoute-il. Quoi qu'il en soit, l'annonce politique ayant été faite, il importe désormais de réunir tous les acteurs autour de la table, l'Etat, la CDC, BPI, les grandes banques, les fonds d'investissements, la Climate Bond Initiative, le WWF, etc. afin d'étudier la façon dont cela peut se traduire concrètement. « La décision ne date encore que de quelques jours, reconnaît Pascal Canfin.

Mais si d'ici deux semaines nous n'avons pas de nouvelles nous relancerons Bercy pour savoir comment il est prévu de mettre en œuvre la parole présidentielle. »

En parallèle de la décision française, les réflexions vont bon train pour définir ce que doit être un « green bond » et définir un standard qui permette d'échapper aux accusations de greenwashing. Alors que Moody's a récemment rendu publique sa méthodologie, le WWF lui-même prépare un rapport sur le besoin de certification.

Eliminer les centrales à charbon françaises

Autre annonce de la conférence environnementale : l'instauration d'un prix plancher pour le CO2 dans la production d'électricité. La France a déjà mis en place une "contribution climat-énergie" qui constitue la composante carbone de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) payée par le consommateur final sur le carburant. Mais la production d'électricité appartient aux secteurs déjà couverts par le marché européen du carbone (ETS pour European Trading Scheme), dont le cours plafonne actuellement à quelque 5 euros la tonne. La proposition française, qui devrait être entérinée par la prochaine loi de finances, reviendrait à appliquer un cours compris entre 25 et 30 euros.

Là non plus, le "design juridique" n'a pas encore été rendu public. Mais Pascal Canfin, membre avec l'économiste Alain Grandjean et le PDG d'Engie, Gérard Mestrallet, d'une task-force nommée par Ségolène Royal sur cette question, dont les conclusions sont attendues pour le 1er juillet, se félicite d'une mesure « propre à faire passer les centrales à gaz devant celles aux charbon dans l'ordre de mérite ». Ce sont en effet les énergies dont le coût marginal est le plus faible qui sont appelées en priorité sur le réseau. En renchérissant le prix du charbon, un prix de 30 euros la tonne suffirait à mettre à l'arrêt les cinq centrales à charbon implantées en France. Pour Pascal Canfin, « cette mesure fait trois gagnants : l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables et le nucléaire (qui pose d'autres problèmes, mais pas celui d'émettre du CO2, ndlr). »

Redonner des couleurs à un marché du carbone atone

Surtout, en rejoignant l'Angleterre, qui a déjà instauré une mesure similaire, la France deviendrait d'autant plus légitime à se positionner sur le sujet à l'échelle européenne. Histoire de redonner des couleurs à un marché du carbone atone, Ségolène Royal a en effet proposé aux États membres de mettre en place un corridor. Reste néanmoins à s'assurer que les quotas d'émissions de CO2 ainsi « économisés » ne soient pas « consommés » ailleurs, par d'autres secteurs industriels français ou d'autres énergéticiens en Europe...ce qui annulerait tout effet bénéfique sur le climat.

Sur ces deux sujets qui pourraient faire de la France un « leader de la finance verte », les annonces politiques ont devancé l'étude de faisabilité. Le président et sa ministre de l'Ecologie s'y sentiront-ils d'autant plus tenus qu'une prochaine conférence environnementale est prévue début 2017 ? Pascal Canfin veut le croire, lui qui y voit « une façon de faire de 2016 une année utile sur le sujet de la transition énergétique », malgré la proximité de l'échéance présidentielle.

Dominique Pialot

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Commentaires 4
à écrit le 03/05/2016 à 15:40
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Je pense qu'il faut être plus ambitieux si on veut gagner cette guerre . si les résultats obtenus ne sont pas solides, très vite ils seront engloutis par d'autres secteurs et l'opinion publique n'aurait rien constaté comme effet de cette lutte. Or il...

à écrit le 03/05/2016 à 8:22
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La solution consiste bien à augmenter le prix de l'énergie, mais en réduisant en même temps le cout du travail, progressivement et à niveau constant et jusqu'à un certain seuil. Tout ça est expliqué dans la note n°6 du conseil d'analyse économique.

à écrit le 03/05/2016 à 8:15
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La France n'aime pas l'argent alors qu'elle se réjouisse, il s'en va et il ne l'aime pas. Ces histoires de finance verte sont une plaisanterie.

à écrit le 03/05/2016 à 7:50
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l'autre il a dit que son ennemi, c'est la finance alors pourquoi vous venez nous gaver avec des obligations vertes, et autres? soyez assure que de toute facon meme si l'idee tenait la route, personne ne serait assez idiot pour faire confiance a des...

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