Les acteurs historiques doivent-ils craindre un Elon Musk du nucléaire ?

Par Dominique Pialot  |   |  889  mots
Pour François Gauché, directeur de l'énergie nucléaire du CEA, "il ne faut pas sous-estimer le phénomène de la Silicon Valley au risque de se faire doubler par un Elon Musk du nucléaire. » (Crédits : CC / Pixabay)
Des petits réacteurs de 30 MW jusqu'au mégaprojet de fusion Iter en passant par les réacteurs de quatrième génération, les recherches vont bon train pour tenter d'imaginer le nucléaire de demain. Dernière vitrine en date : le salon World Nuclear Exhibition qui s'est tenu à Paris Villepinte du 26 au 28 juin.

Le 28 avril dernier, la Russie mettait à l'eau à Mourmansk la première centrale nucléaire flottante du monde. L'Akademik Lomonosov, une barge de 144 mètres de long équipée de deux réacteurs de 35 MW chacun, est l'exemple le plus spectaculaire de petits réacteurs modulaires (ou "small modular reactors", SMR), déjà utilisés pour les navires à propulsion nucléaire. La Russie travaille également sur un concept similaire à terre. La compagnie nationale Rosatom, tout comme les chinois CGN et CNNC, planchent sur des modèles susceptibles, en plus de la production d'électricité, de produire de la chaleur et de désaliniser l'eau de mer. La Corée n'est pas en reste, et le britannique Rolls-Royce possède également des projets dans ses cartons.

Deux jours après la mise à l'eau de la centrale russe, de l'autre côté du globe, aux États-Unis, la startup NuScale franchissait la première étape d'homologation de son réacteur de 50 MW, dont elle espère mettre en service 12 exemplaires assemblés à l'horizon 2026.

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[L'Akademik Lomonosov est l'exemple le plus spectaculaire de petits réacteurs modulaires déjà utilisés pour les navires à propulsion nucléaire. Crédit : Reuters]

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En France, après l'échec du projet de centrale immergée Flexblue, un consortium notamment composé d'EDF, de Technic-Atome, de Naval Group et du CEA réfléchit depuis 2012 à un modèle de 150 à 170 MW. Ces modèles de taille réduite (entre 30 et 300 MW) présentent l'avantage de pouvoir être fabriqués de façon standardisée en usine, donc à moindre coût. Ils se prêtent particulièrement bien aux sites désaffectés et aux pays en développement qui ne possèdent ni les réseaux, ni les capacités d'investissements nécessaires à des modèles géants tels que les EPR.

« Les États-Unis, le Canada et la Russie sont très intéressés par les SMR, bien adaptés aux populations très réparties sur le territoire. Mais il est difficile de préciser un horizon, car c'est un petit modèle, donc plus onéreux au mégawattheure, qui ne trouvera son économie que dans la grande série, précise Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe chargé de la direction Ingénierie et Projets nouveau nucléaire d'EDF. Nous ne voyons pas cela avant 20 ans au moins. »

Les SMR laissent également en suspens les questions de sûreté et les risques de prolifération.

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[Le projet français de centrale immergée Flexblue a été un échec. Crédit : DCNS]

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Regain d'intérêt pour les réacteurs à sels fondus

Plus innovants, mais plus éloignés dans le temps, les réacteurs dits "de quatrième génération". Développés sous les auspices du Forum international Génération IV (GIF) qui rassemble une dizaine de pays, ils recouvrent plusieurs technologies : les réacteurs à neutrons rapides à eau super-critique, ceux à sels fondus et ceux à très haute température. « Ils visent tous les mêmes objectifs », rappelle François Gauché, directeur de l'énergie nucléaire du CEA, qui préside le forum depuis avril 2016.

« Outre la sûreté, qui constitue une constante, il s'agit de produire plus d'énergie à moindre coût, avec un impact réduit sur l'environnement et une production moins importante de déchets radioactifs. »

Si la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, qui permet de fonctionner à partir d'uranium usé et de plutonium, est la plus avancée, le réacteur à très haute température et le réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb sont considérés comme les plus efficaces.

De son côté, la France poursuit le projet Astrid ("Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration") dont le modèle de Terrapower serait directement inspiré. Ce réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium porté par le CEA fait suite aux réacteurs expérimentaux Phénix et Superphénix, et devrait faire l'objet d'une décision d'investissement à l'horizon 2023.

Mais ce sont les réacteurs à sels fondus (ou "molten salt reactor", MSR) qui, tout en reposant sur une technologie ancienne, connaissent le principal regain d'intérêt, notamment car ils sont considérés comme les plus sûrs développés au sein du GIF. Plusieurs startups, telles que la canadienne Terrestrial Energy ou l'américaine Terrapower, soutenue par Bill Gates, planchent sur des prototypes industrialisables au cours de la prochaine décennie. Dans le même temps, le gouvernement chinois finance un projet dans le désert de Gobi, et les Néerlandais de Nuclear Research and Consultancy Group (NRG) sont les premiers européens à se positionner sur ce segment.

Le projet le plus futuriste reste sans nul doute celui d'Iter. Basé à Cadarache (Paca), la plus grande expérience de fusion au monde mobilise pas moins de 35 pays s'efforçant de démontrer que l'énergie du soleil et des étoiles peut être utilisée pour produire de l'électricité à grande échelle. De façon générale, sur un marché en rétrécissement confronté au défi de construire plus vite et moins cher, « il ne faut pas sous-estimer le phénomène de la Silicon Valley au risque de se faire doubler par un Elon Musk du nucléaire », met en garde François Gauché.