Les Régions face au dédale des fonds européens

Un système utile, mais bien trop complexe : c'est le diagnostic des élus régionaux sur les aides européennes au développement qu'ils sont chargés de piloter.
César Armand
(Crédits : iStock)

Y a-t-il une « sous-utilisation des fonds européens », comme le laissait entendre l'intitulé d'une mission d'information sénatoriale lancée au lendemain des élections européennes?

À en croire les élus régionaux, devenus autorités de gestion en 2014, cette idée est infondée. Certes, tout crédit non consommé est définitivement perdu, mais, selon les vice-présidentes d'Île-de-France et de Nouvelle-Aquitaine, toutes les sommes d'argent colossales seront bel et bien employées dans les délais impartis.

« Je vous garantis que ce n'est pas le cas en Nouvelle-Aquitaine, où nos taux de programmation sont supérieurs à la moyenne européenne », assure ainsi Isabelle Boudineau, vice-présidente du conseil régional chargée de l'Europe et de l'international.

« La courbe de consommation des crédits est exponentielle. On peut dire qu'elle atteint son plein régime et cela se poursuivra jusqu'en 2022, les derniers paiements intervenant même en 2023. »

Même discours du côté de l'Île-de-France avec la vice-présidente pour l'Europe, Stéphanie von Euw :

« En France, nous demeurons les premiers adeptes du french bashing, alors que nous sommes peut-être meilleurs que d'autres pays. Nous pouvons programmer les crédits jusqu'au 30 novembre 2020 et les consommer jusqu'en 2023. »

Aujourd'hui, la rapporteure de la mission d'information, la sénatrice Colette Mélot, admet que « nous nous sommes très vite aperçus que ce ne serait pas une sous-utilisation, mais un plan pluriannuel allant jusqu'en 2020 et qui allait se poursuivre jusqu'en 2023. À la fin de la période, tous les crédits devraient avoir été consommés. »

Un processus qui décourage les PME et les TPE

En réalité, il est vrai que bénéficier d'un fonds européen relève du parcours du combattant. La Région doit le programmer, le flécher sur des porteurs de projets, procéder à des contrôles pour certifier les dépenses préengagées par les entreprises, envoyer les informations à la direction régionale des finances publiques (DRFIP), qui les vérifie à son tour, donne son aval et enfin, autorise l'appel de fonds auprès de l'Union européenne. « C'est de la semi-décentralisation, résume la francilienne Stéphanie von Euw. Cela transite certes par un organisme de l'État, mais le choix des priorités, des porteurs et des thématiques s'opère au niveau local. »

Ce processus est néanmoins très lourd pour les TPE-PME, souligne la néoaquitanaise Isabelle Boudineau. « À force de complexité, certains porteurs de projets renoncent à faire appel aux fonds de cohésion. La question des délais de remboursement est également prégnante. Pour une petite structure privée qui a peu de trésorerie et qui doit aller négocier des prêts relais à la banque, les aides européennes ne sont pas forcément adaptées. »

La Commission européenne, qui a conscience de cet écueil, a d'ores et déjà promis des simplifications pour la future période 2021-2027. Si la sénatrice Mélot est « optimiste », considérant « qu'à l'avenir cette opacité actuelle, qui rend les choses difficiles dans le montage des dossiers, notamment pour les territoires ruraux, devrait s'améliorer », Isabelle Boudineau ne s'estime pas « à l'abri de "raffinements'' ajoutés par le nouveau Parlement européen, ou encore par chacun des États membres, la France ayant la sérieuse réputation de faire de surréglementation ». Un constat partagé par son homologue Stéphanie von Euw, qui plaide depuis près de deux ans (La Tribune du 28 janvier 2018) pour sortir de situations « presque ubuesques » :

« Comment expliquez-vous que, pour les projets de soutien aux sans-domicile-fixe, les coordonnées de ces derniers soient demandées ? De même, quand il s'agit de femmes battues, qui ont besoin d'être éloignées de leur mari violent. »

Des dispositifs différents selon les régions

Par ailleurs, du fait de la fusion des régions et des élections de décembre 2015 qui ont rebattu les cartes, le pilotage opérationnel diffère d'un conseil régional à un autre, rendant les choses encore plus complexes. Si la Nouvelle-Aquitaine, née début 2016 de la fusion de l'Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes, a toujours été une région socialiste, avec plusieurs dizaines d'agents au pôle Europe et au coeur de différentes directions opérationnelles du conseil régional pour instruire les dossiers et accompagner les porteurs de projets, l'Île-de-France, gagnée par la droite fin 2015 après des années à gauche, pense déjà à remettre à plat le dispositif dont elle a hérité de la majorité précédente. « Nous avons 27 thèmes et, quand les autres gèrent tout en direct, chez nous, cela a été délégué à cinq organismes intermédiaires et à des territoires intégrés dont quinze agglomérations », explique Stéphanie von Euw. « Pour la période 2021-2027, nous allons nous concentrer sur quelques thèmes pour éviter l'éparpillement. Si nous n'avons pas de problème d'engagement sur la réhabilitation thermique, qui recouvre des projets à plusieurs millions d'euros fonctionnant très bien, nous n'avons, par exemple, pas de crédits pour les transports. » Et ce, alors que le « chantier du siècle », le Grand Paris Express, qui bénéficie certes de prêts de la Banque européenne d'investissement, serait sans doute très heureux de pouvoir profiter de ces fonds.

Autre lieu, autre ambiance : en Nouvelle-Aquitaine, c'est la « défection » des directions départementales des territoires (services de l'État) dans l'instruction du programme européen Leader, censé soutenir des initiatives pilotes dans les zones rurales, qui a freiné l'aide à ces projets. « Nous avons dû prendre des décisions lourdes pour notre budget, pour que l'enveloppe consacrée ne soit pas perdue et que les groupes d'action locale (GAL) ne se retrouvent pas sans aucun moyen : nous avons recruté 30 instructeurs et nous avons procédé à des avances de trésorerie en direction des GAL, structures porteuses, mais aussi des porteurs de projets eux-mêmes », témoigne Isabelle Boudineau.

Cela va sans dire : malgré sa défaillance manifeste, l'État n'a en outre apporté aucune dotation globale de fonctionnement supplémentaire au conseil régional concerné...

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ENCADRÉ

28 MILLIARDS ALLOUÉS À LA FRANCE POUR 2014-2020

Sur un total de 461 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne pour la période 2014-2020, la France s'est vu allouer une enveloppe de 27,8 milliards d'euros. Le Fonds européen agricole et de développement de l'espace rural (Feader), principal instrument de financement de la politique agricole commune (PAC), représente 41 % du montant hexagonal, suivi par le Fonds européen de développement régional (Feder) avec 34 %, le Fonds social européen (FSE) avec 23 % et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) avec 2 %.

César Armand

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