Les députés européens vont-ils chambouler la distribution de l'e-cigarette ?

Par Adeline Raynal  |   |  1214  mots
La France compte plus de 1 million d'adeptes de l'e-cigarette.
Le parlement de Strasbourg doit se prononcer ce mardi sur l'encadrement du commerce de cigarettes électroniques. Si les élus sont une majorité à les considérer comme des médicaments devant servir au sevrage tabagique, le réseau de distribution qui a explosé ces derniers mois (au moins 400 boutiques spécialisées en France) pourrait être complètement bouleversé.

"En septembre 2012, nous avions ouvert moins d'une dizaine de boutiques d'e-cigarettes, aujourd'hui, nous en comptons 52 dans toutes la France, plus trois à l'étranger" : la jeune responsable du développement du réseau Clopinette, Cindy Vuillemain, décrit un phénomène auquel nul citadin n'a pu échapper : le développement fulgurant des boutiques dédiées à la vente de cigarettes électroniques.

L'Office français de prévention du tabagisme (OFT) estimait dans un rapport publié le 28 mai 2013 que le marché des cigarettes électroniques a généré 40 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 en France, et prévoit 100 millions d'euros pour cette année, soit plus que celui des médicaments destinés à l'arrêt du tabac.

Quel est l'état du réseau de distribution actuel ?

On peut raisonnablement estimer que la France compte actuellement 400 à 600 boutiques dédiées aux e-cigarettes. "Lors de notre dernier recensement en août 2013, il y avait environ 400 boutiques en France, contre une centaine en décembre 2012. Le réseau de distribution a donc vu sa taille quadrupler en l'espace de huit mois" rapporte Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière (Paris) et président de l'OFT.

"Comme des boutiques s'ouvrent sans cesse, difficile de dire exactement combien il y en a aujourd'hui, en tous cas le nombre a continué d'augmenter, c'est sûr", poursuit-il.

De son côté, Michaël Hammoudi, PDG du distributeur indépendant MCortex Distribution (CIG&LEC) et président du CACE ( Collectif des Acteurs de la Cigarette Électronique) évalue le nombre de boutiques à 600, franchisées et indépendantes confondues. "Cette année, le nombre de ces boutiques a progressé de 15% par mois" estime-t-il.

La plupart des grandes villes comptent aujourd'hui au moins une boutique

A Paris, le réseau est déjà très dense avec plus de quarante boutiques intra-muros "il y a un phénomène de surreprésentation en région parisienne" commente Cindy Vuillemain. Le développement est en effet un peu moins impressionnant en régions, même si la plupart des grandes villes comptent aujourd'hui au moins une boutique.

Certains réseaux de franchises commencent même à s'étendre à l'étranger. Ainsi, une boutique Clopinette a ouvert ses portes à Formia en Italie, en juin dernier, ont suivi une autre à Casablanca et une à Saint Martin (Antilles françaises). "Une quatrième boutique à l'étranger doit ouvrir très bientôt à Madrid" précise Cindy Vuillemain.

Médicament ou pas ? Réponse au cours de l'après-midi du 8 octobre

Qui dit nouveau produit, dit règlementation à définir sur dans un secteur aussi sensible. Or pour l'instant, les e-cigarettes sont considérées comme des produits de consommation courante. Si certains pays - dont la France - ont déjà commencé à légiférer sur le sujet, il n'existe pas encore de législation européenne.

Pour combler cette carence et encadrer le développement de ce commerce d'un nouveau genre, les députés européens s'apprêtent à voter ce mardi  une directive sur les produits du tabac. Une partie de ce texte sera consacré aux e-cigarettes. La Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) planche sur le sujet depuis plusieurs mois, et 22 amendements concernant spécifiquement les e-cigarettes ont été déposés.

Le risque d'un bouleversement du réseau de distribution

Comment seront classifiées les cigarettes électroniques ? Voilà tout l'enjeu du vote de mardi. "Nous attendons cette décision avec impatience, bien que assez sereinement", confie d'ailleurs la responsable du développement du réseau Clopinette.

Si les députés européens considèrent que la e-cigarette est un médicament de sevrage du tabac, au même titre que les patchs et pastilles, cela entraînera un bouleversement du réseau de distribution. En effet, qui dit médicament, dit obtention obligatoire d'une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et vente uniquement en pharmacie. Adieu boutiques dédiées !

Or aujourd'hui, ces cigarettes électroniques n'étant pas considérées comme produit de sevrage, leur vente en pharmacie est interdite … bien que selon Bertrand Dautzenberg, un tiers d'entre elles en vendraient quand même.

Les députés divisés, les lobbies à la manœuvre

Si nos représentants à Strasbourg la qualifient de produit de l'industrie du tabac, alors, seuls les buralistes seront autorisés à les commercialiser en France. Enfin, les députés européens pourraient choisir de l'assimiler à un produit de consommation courante mais en renforçant l'encadrement juridique qui s'y rapporte. La classification du produit pourrait dépendre des doses de nicotine utilisées.

En France, le CACE a par exemple déjà rencontré des membres de la Direction Générale de la Santé (DGS) et du Cabinet de Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, pour proposer que la vente des cigarettes électroniques soit conditionnée à l'obtention d'une licence spécifique et la mise en place ds certifications plus strictes pour les e-liquides notamment.

Le but de l'Union européenne est en tous cas de "ne pas laisser commercialiser des produits qui ne sont pas sûrs et qui ne remplissent pas leur fonction" déclarait la députée britannique et rapporteur de la directive sur les produits du tabac Linda McAvan le 24 avril 2013. A l'époque, peu de députés avaient un avis tranché sur la question. La députée française Michèle Rivasi (EELV) se démarquait en tranchant clairement :

"Si le produit inhalé contient de la nicotine, alors cela doit être considéré comme un produit pharmaceutique !" insistait-elle.

American British Tabaco n'a pas attendu pour investir...

Depuis plusieurs mois, de nombreux groupes de pression ont manœuvré pour convaincre un à un les députés européens et orienter leurs votes. Les lobbies puissants de l'industrie du tabac notamment, qui voient la cigarette électronique comme un moyen de conquérir de nouveaux consommateurs.

Pour preuve, certains investissent massivement dans le business. American British Tabaco a par exemple racheté fin 2012 le fabricant d'e-cigarettes CN Creative et Lorillard a déboursé 135 millions de dollars pour acquérir Blue Cig en avril 2012. "D'ici trois ans, les géants de l'industrie du tabac contrôleront 75% des fabricants de cigarette électronique", craint Michaël Hammoudi.

Le texte ne s'appliquera au niveau national qu'en 2018

Alors qu'en sera-t-il des effets de cette nouvelle législation européenne sur le tabac ? Réponse mardi. Le projet de loi sera examiné à Strasbourg ce mardi matin, le vote se déroulera entre 12h et 14h, les résultats sont attendus dans la foulée. Quelle que soit la décision, le texte ne s'appliquera au niveau national qu'en 2018, le temps pour chaque État membre de préciser ses règles.

"Ce sont des produits addictifs, la règlementation arrive bien trop tard !" déplore Bertrand Dautzenberg, selon qui il aurait fallu règlementer le commerce de e-cigarettes il y a déjà deux ou trois ans… époque où la France ne comptait qu'une poignée de boutiques dédiées.

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