Grande distribution : près de la moitié des produits vendus sont négociés par des centrales en dehors de la France

Par latribune.fr  |   |  857  mots
Les centrales d’achat européennes sont accusées d'être l'une des raisons de la mauvaise application des trois « lois Egalim » visant à mieux rémunérer les producteurs. (Crédits : HENRY NICHOLLS)
Entre « 40% à 50% des volumes vendus par la grande distribution en France sont négociés par des centrales d'achat implantées à l'étranger », selon un rapport parlementaire présenté ce mercredi. Une pratique qui faciliterait le contournement éventuel de la loi française, symbolisée par les textes Egalim, censés garantir une meilleure rémunération des agriculteurs.

C'est une estimation qui risque de remettre sous le feu des projecteurs les centrales d'achat européennes. Entre « 40% à 50% des volumes vendus par la grande distribution en France » sont ainsi négociés par ces structures implantées à l'étranger, pointent les députés Frédéric Descrozaille (Renaissance) et Aurélie Trouvé (La France insoumise), dans un rapport publié ce mercredi. Pour rappel, les centrales d'achat européennes sont largement pointées du doigt depuis le début de la crise agricole. Elles sont accusées d'être l'une des raisons de la mauvaise application des trois « lois Egalim » visant à mieux rémunérer les producteurs.

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Le calcul, réalisé sur la base du chiffre d'affaires des groupes négociant avec ces centrales, « relève d'une convergence » entre l'Ilec (Institut de liaisons des entreprises de consommation, qui porte la voix des très grands industriels), la FCD (Fédération du commerce et de la distribution) et la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), a précisé Frédéric Descrozaille auprès de l'AFP.

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Mieux négocier, mais aussi contourner le droit français

Les deux députés ont mené ce travail dans le cadre d'une mission sur la « loi Descrozaille », portée par ce député et adoptée par le Parlement en mars 2023. Elle prévoit que les négociations des distributeurs (Leclerc, Système U, Carrefour...) via les centrales d'achats européennes soient soumises à la loi française, dès qu'elles concernent des produits commercialisés en France. Objectif, éviter le contournement des règles destinées à assurer une meilleure rémunération des agriculteurs.

Sauf que « les représentants des industriels sont unanimes sur le fait qu'ils sont de plus en plus nombreux à être convoqués par ces centrales pour négocier en dehors du territoire national des volumes destinés à être commercialisés en France », relèvent les députés dans leur rapport.

Selon les distributeurs, il s'agit d'avoir une « puissance d'achat, avec des partenaires étrangers, face à des fournisseurs internationaux qui sont plus puissants qu'eux », relève le rapport. Reste que « l'objectif de contourner le droit français, s'il n'est pas revendiqué, est tout de même assumé », ajoute le document.

Un contournement que ne compte pas tolérer le gouvernement français. « Tout produit vendu en France doit respecter la loi française », a encore répété le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, début février. Menés par la DGCCRF, les contrôles ont ainsi été renforcés pour s'assurer du bon respect de la loi de l'Hexagone.

Résultat, il en est ressorti que deux centrales d'achat européennes de la grande distribution n'« ont pas respecté » la réglementation. Elles sont donc ciblées par des « pré-amendes » s'élevant à plusieurs « dizaines de millions d'euros ». Elles ont deux mois pour faire valoir leurs arguments contradictoires, au terme desquels les sanctions seront « définitives ».

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Bruxelles invitée à se positionner

Ce n'est pas la première fois que la DGCCRF a tapé du poing sur la table. En 2019, au bout d'une enquête de deux ans, elle a assignée devant un tribunal français la centrale d'achat Euralec, codétenue par le distributeur français E.Leclerc et son homologue allemand Rewe, en raison de son refus de respecter le code de commerce français, lui infligeant une amende administrative.

Reste que la répression des fraudes dispose de services « de taille modeste » pour faire face « aux moyens de défense imposants (des) grands groupes et à une complexification de leur action liée à leur intervention en dehors du territoire national », souligne le rapport documentaire.

Si la compétence des juridictions françaises, pour statuer sur les litiges liées aux centrales d'achat situées hors de France pour les produits vendus dans le pays, a un temps été remise en question, la cour d'appel de Paris a récemment réaffirmé qu'elles sont au contraire bien compétentes. Le rapport parlementaire regrette d'ailleurs que la Commission européenne « ne trouve rien à redire aux alliances de distributeurs dans le marché intérieur pour contrer la position dominante des grands groupes industriels ».

Bruxelles « refuse surtout d'entendre qu'il est légitime que la France cherche à protéger son ordre public économique en appliquant son droit à des relations commerciales qui sont exécutées sur son territoire, même si elles sont formellement menées dans d'autres États membres », note le rapport.

Le Premier ministre, Gabriel Attal, avait promis fin février, « un nouveau projet de loi pour renforcer le dispositif Egalim qui sera présenté d'ici l'été ». Dans cette optique, une mission parlementaire a été confiée aux députés Alexis Izard (Renaissance) et Anne-Laure Babault (MoDem).

(Avec AFP)