Lois Egalim : pour la Cour des comptes, l'heure des sanctions est arrivée

Jusqu'à présent, l'Etat a laissé aux acteurs le temps de s'adapter aux nouvelles règles, observe la juridiction financière dans un rapport axé sur la filière bovine. Alors que le rapport de force entre producteurs et premiers acheteurs est très déséquilibré, « une nouvelle phase s'ouvre désormais ».
Giulietta Gamberini
Par des « manœuvres » plus ou moins licites, les acheteurs arrivent à obtenir, dans les contrats, l'emploi d'indicateurs de prix et de clauses aux effets « contrastés » pour les éleveurs, déplore la juridiction financière (Photo d'illustration).
Par des « manœuvres » plus ou moins licites, les acheteurs arrivent à obtenir, dans les contrats, l'emploi d'indicateurs de prix et de clauses aux effets « contrastés » pour les éleveurs, déplore la juridiction financière (Photo d'illustration). (Crédits : RUSSELL CHEYNE)

La Cour des comptes souscrit aux promesses faites par le gouvernement aux agriculteurs de renforcer l'application des lois Egalim, visant à protéger leur rémunération.

« Aucun manquement (à la loi Egalim 2, ndlr) n'a encore été sanctionné. Mais ce serait peu justifiable que cette situation perdure », a relevé Pierre Moscovici, le président de la juridiction financière, lors de la présentation de son tout dernier rapport, ce mercredi.

« Un nouveau pas doit être franchi », a-t-il exhorté, invitant à davantage de « procédures correctives (injonctions) et répressives (sanctions) ».

Un périmètre délimité

Le rapport que vient de publier la Cour des comptes n'est qu'un « audit flash », effectué « dans un délai resserré » (depuis le 8 septembre 2023) et  « sur un dispositif public bien délimitée » : le « contrôle par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) des contrats conclus entre producteurs et premiers acheteurs dans la filière bovine dans le cadre des lois Egalim », précise l'institution.

Il porte sur un enjeu de forte actualité. Et pour cause, une contractualisation écrite pluriannuelle entre les producteurs et leurs premiers acheteurs n'a été rendue obligatoire pour certaines filières que par la loi Egalim 2 du 18 octobre 2021, avec une entrée en vigueur échelonnée entre le 1er janvier 2022 et le 1er janvier 2023.

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Le périmètre du rapport, bien que circonscrit, est en outre significatif. Les contrôles sur l'application des lois Egalim reposent en effet essentiellement sur la DGCCRF, qui représente l'une des rares sources d'informations à ce propos, rappelle la Cour des comptes. Et avec ses 23 milliards de litres de lait et 4 millions d'animaux à viande produits annuellement, la filière bovine représente, à elle seule, un quart des exploitations agricoles françaises.

Une approche pédagogique et dissuasive

La Cour des comptes ne critique pas la DGCCRF, pour autant. Au contraire, cette dernière « a sans délai rempli ses missions de contrôle », salue Pierre Moscovici. Des « enquêtes complètes » ont en effet été planifiées « rapidement après la promulgation de la loi ». Son activité de contrôle, en croissance de 140% entre 2022 et 2023, a été « proportionnée aux moyens » et « répartie de façon globalement équilibrée sur le territoire national et entre les différents catégories d'acheteurs ».

Principal critère utilisé par la DGCCRF pour identifier les acteurs clés à contrôler, essentiellement parmi les acheteurs, le chiffre d'affaires est, lui aussi, jugé pertinent par la Cour des comptes. 64 acheteurs, réalisant en moyenne un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards d'euros, et s'approvisionnant donc auprès de milliers d'éleveurs, ont été inquiétés.

L'absence de sanctions jusqu'à présent relève donc essentiellement d'une pratique traditionnelle des administrations de l'Etat, qui laissent un peu de temps aux acteurs, afin de s'approprier les nouvelles règles et s'y adapter. Dans ce contexte, les contrôles relèvent essentiellement d'une approche pédagogique et dissuasive.

Mais « une nouvelle phase s'ouvre désormais », et « cette situation doit être corrigée dans les meilleurs délais », avertit le rapport.

Simplification et structuration

Pour améliorer l'application des lois Egalim, les magistrats plaident en faveur d'une simplification des règles et de structuration des filières. Les normes applicables aux contrats - reflétant « la difficulté de trouver un bon équilibre entre liberté contractuelle et régulation du marché » - se révèlent en effet souvent trop complexes pour les petits opérateurs que sont les producteurs bovins, qui théoriquement doivent être à l'initiative du contrat. Ces règles sont de surcroît soumises à des interprétations différentes.

Et si « pour la filière laitière (...) l'expérience de la contractualisation était déjà bien ancrée » avant la loi Egalim 2, elle représente une « pratique nouvelle pour la plupart des éleveurs de la filière bovine viande ». Dans cette dernière, la Cour des comptes constate d'ailleurs souvent l'absence de toute contractualisation entre producteurs et premiers acheteurs, alors qu'elle représente une condition essentielle pour une amélioration de la rémunération des agriculteurs.

La simplification suggérée par la Cour des comptes ne nécessiterait pas forcément une loi Egalim 4. Elle pourrait passer essentiellement par des décrets, précise à La Tribune le contre-rapporteur Hervé Boullanger. Sans compter que, pour mieux accompagner les petits producteurs, la rédaction de lignes directrices ou de contrats types par leurs organisations professionnelles pourrait parfois suffire.

Beaucoup de producteurs, peu d'acheteurs

Le besoin d'une plus grande structuration de la filière bovine vient, lui, du caractère déséquilibrées des relations commerciales. De nombreux producteurs se retrouvent en effet à devoir négocier leurs prix avec peu d'acheteurs. Résultat, ces derniers arrivent à imposer leurs conditions.

En 2021, 76,3% de la collecte de lait a été réalisée par 28 collecteurs, note la Cour des comptes. 143 abattoirs assurent 92% des tonnages de viande. Par des « manœuvres » plus ou moins licites, les acheteurs arrivent ainsi à obtenir, dans les contrats, l'emploi d'indicateurs de prix et de clauses aux effets « contrastés » pour les éleveurs, déplore la juridiction financière.

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Elle suggère ainsi au ministère de l'Economie la mise en place d'une « plateforme de signalement » confidentielle destinée aux agriculteurs - plus structurée que celle existant déjà sur le site de la DGCCRF. Les sages prônent aussi pour une plus grande transparence des contrôles réalisés, en suggérant à Bercy - qui, pour l'instant, a confié des missions d'enquête à l'Inspection générale des finances et à l'observatoire de la formation des prix et des marges - de publier un rapport annuel.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 15/02/2024 à 8:29
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La manifestation du lobby agro-industriel c'est bien nous qui allons la payer. On se demande bien ce que paye le secteur privé quand même hein...

à écrit le 14/02/2024 à 23:39
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Et si ce machin des Comptes poursuivait gouvernements et parlementaires pour une gestion malhonnête et dispendieuse; on aurait pu espérer de la république un progrès par rapport à l'Ancien Régime; nos aristocrates ne valent pas mieux que les siens.

à écrit le 14/02/2024 à 19:43
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Et les amendes vont-elle aller dans la poche des agriculteurs ?

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