La CFDT accuse Carrefour de « délocalisations locales » et l'attaque en justice

Par latribune.fr  |   |  838  mots
Carrefour s'est longtemps présenté comme le premier employeur privé du pays, mais ne communique plus depuis plusieurs années sur le nombre de personnes qu'il emploie. (Crédits : Hans Lucas)
La CFDT a annoncé ce lundi assigner devant le tribunal judiciaire d'Evry le géant Carrefour. Le syndicat lui reproche depuis plusieurs années la cession de nombreux magasins à des tiers via des mises en location-gérance ou en franchise. Il demande à la justice l'interdiction de cette pratique, estimant qu'il s'agit de « délocalisations locales » de dizaines de milliers d'emplois.

La branche Services du syndicat CFDT a annoncé à l'AFP, ce lundi, assigner Carrefour devant le tribunal judiciaire d'Evry, dont dépend le siège du distributeur à Massy, en banlieue parisienne. En cause : le passage de nombreux magasins du géant de la distribution en location-gérance et en franchise.

« Nous estimons que ce mode de gestion tel que pratiqué par Carrefour ne répond pas aux règles du droit et qu'elle a des conséquences très fortes pour les travailleurs », explique Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT Services.

Le syndicat demande à la justice d'« interdire au groupe Carrefour et aux sociétés défenderesses de procéder à de nouvelles mises en location-gérance ou en franchise au sein du groupe », et de « garantir cette injonction par une astreinte de 100.000 euros par infraction constatée », selon le texte de l'injonction que l'AFP a pu consulter.

Préserver l'emploi selon Carrefour

Le distributeur, qui revendique plus de 5.000 magasins en France, s'est longtemps présenté comme le premier employeur privé du pays, mais il ne communique plus depuis plusieurs années, sur le nombre de personnes qu'il y emploie.

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D'après la CFDT, plus de 300 magasins et 23.000 salariés sont sortis des effectifs de Carrefour depuis 2017. Date qui correspond à l'arrivée à la tête du groupe d'Alexandre Bompard. Depuis qu'il a pris ce poste de PDG, les organisations représentatives du personnel, dont la CFDT, n'ont de cesse de contester le passage d'un nombre significatif de magasins en franchise et en location-gérance, termes qui désignent la cession à des tiers de la gestion des points de vente.

Pour Carrefour, le mouvement permet de conserver sa part de marché commerciale tout en se libérant d'un certain nombre de dépenses, à commencer par les salaires. En outre, le franchisé s'approvisionne auprès de la centrale du groupe, plaçant Carrefour dans un rôle de grossiste. Le groupe défend aussi cette politique en assurant qu'elle permet d'éviter les fermetures pour les magasins les moins rentables, de relancer l'activité et de préserver l'emploi.

Conséquences sur les salariés

Mais pour les syndicats, cette pratique n'est pas sans conséquence vis-à-vis les salariés. Une fois que leur magasin a « basculé », ces derniers ne sont plus employés par un grand groupe coté au CAC 40, mais par une plus petite structure, perdant ainsi les avantages sociaux négociés au sein de Carrefour, évalués par la CFDT à 2.000 euros par an.

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Quant à l'activité, elle « est encore pire qu'avant », témoigne auprès de l'AFP Pascal Junet, élu CGT au CSE du magasin Carrefour de Bercy 2 à Charenton-le-Pont en région parisienne, passé en location-gérance le 2 mai 2022. « Le chiffre d'affaires est en baisse perpétuelle et l'unique réponse est de dire que la masse salariale est trop importante ».

La CFDT, dubitative elle aussi, estime que les contrats passés avec les sociétés franchisées « ne permettent pas de dégager des résultats suffisants ».

« Le modèle imposé aux franchisés et locataires-gérants pèse in fine sur les salariés » qui deviennent la seule marge de manœuvre pour améliorer la rentabilité du magasin, estime Sylvain Macé.

En outre, le syndicaliste rejoint l'analyse d'un ancien cadre du distributeur, Jérôme Coulombel, qui avait estimé dans un livre publié en septembre 2023 que le distributeur imposait aux franchisés et gérants des prix de gros ou des prestations externes trop élevés.

Pour Carrefour, l'argumentaire de Jérôme Coulombel est « contredit par l'attractivité » de la franchise. L'enseigne fait valoir en outre que « l'activité professionnelle » de Jérôme Coulombel « consiste, depuis son départ, à conseiller des franchisés pour qu'ils rallient des groupes concurrents ».

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Pendant ce temps, des millions pour les actionnaires

Un autre point hérisse les syndicats : que cette politique soit menée alors que Carrefour débourse des centaines de millions d'euros pour rémunérer ses actionnaires. Le distributeur, qui a annoncé pour 2023 un bénéfice net à 1,66 milliard d'euros pour 94,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires, a versé 481 millions d'euros de dividendes en 2023, et dépensé 802 millions d'euros pour racheter ses actions.

Au-delà du seul géant du CAC 40, la CFDT s'inquiète de voir l'ensemble de la grande distribution « se diriger vers un modèle qui est une forme de "délocalisation locale", où on externalise les enjeux sociaux ». Auchan a, en effet, récemment dit vouloir se tourner vers davantage de franchise, modèle également plébiscité par Casino. Or, ce mouvement s'opère dans un contexte de fort dynamisme des enseignes de magasins indépendants, comme le leader E.Leclerc, Intermarché ou Système U, où chaque patron d'un ou quelques magasins est libre de sa politique sociale.

(Avec AFP)