Que signifie vraiment la condamnation de E.Leclerc ?

Par Marina Torre  |   |  820  mots
Michel-Edouard Leclerc a indiqué que son entreprise comptait se pourvoir en cassation.
E.Leclerc, condamné le 1er juillet par la Cour d'Appel de Paris à verser 61,3 millions d'euros à des fournisseurs pour avoir exigé des remises de fin d'année de façon jugée illégale, compte se pourvoir en cassation. Le dirigeant de l'enseigne en profite pour dénoncer la réglementation des négociations commerciales.

Et si cette condamnation avait plus de portée qu'il n'y paraît? Dans un arrêt du 1er juillet, la cour d'appel de Paris a exigé de E.Leclerc qu'il verse 61,3 millions d'euros, dont 2 millions d'amende au Trésor Public. Lequel sera chargé de reverser la majorité de la somme à 48 fournisseurs du groupe de distribution. En cause: les conditions dans lesquelles des remises de fin d'année ont été imposées par la centrale d'achat du groupement d'indépendants en 2009 et 2010.

Ristournes de fin d'année

En soit, les ristournes ou remise de fin d'année ne sont pas interdites. Versées sous forme d'avoirs ou de versements préalables, elles correspondent à des remises consenties par le fournisseur à une centrale d'achat ou un distributeur. Elles peuvent être attachées à des contreparties - le distributeur doit réaliser un objectif de chiffre d'affaires fixé à l'avance par exemple. Mais il arrive qu'elles ne correspondent à aucune contrepartie. Et c'est bien ce qui pose problème.

En l'occurrence, pour 48 fournisseurs sur 118, la cour a jugé que les conditions de ces remises relevaient d'un "déséquilibre significatif". Une notion introduite dans la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008. Plusieurs pratiques prouveraient le déséquilibre en question. Notamment le fait que les fournisseurs n'ont pas vraiment "négocié" les clauses. Ou encore qu'ils devaient fournir des acomptes prévisionnels avant même la livraison de la marchandise. Par le passé, l'entreprise a d'ailleurs déjà été condamnée en décembre 2013 à 500.000 euros d'amende pour des motifs similaires.

L'encadrement des relations commerciales en question

E.Leclerc a indiqué qu'il formerait un pourvoi en cassation contre cet arrêt du 1er juillet. Mais l'entreprise, interrogée par La Tribune, dit ne pas "avoir de visibilité" concernant la date à laquelle ce pourvoi sera déposé.

En attendant, cette condamnation est l'occasion, pour Michel-Edouard Leclerc, de défendre son droit à négocier les prix comme il l'entend. Il argue dans un article publié sur son blog le 4 juillet que :

"Cet arrêt aboutit à remise en cause du principe de libre négociation du prix, et veut imposer aux distributeurs de revenir à des services de coopération commerciale, et donc aux marges-arrière."

Les marges arrières, des sommes négociées en contrepartie de service divers - dont les remises de fin d'année font partie -, ont été intégrées à l'évaluation des seuils de revente à perte dans le cadre de la loi LME. Ce qui contribue à davantage de souplesse dans la négociation des prix pour les distributeurs. Le dirigeant de Leclerc craint donc que cette souplesse ne soit remise en cause.

Questions de contreparties

C'est même toute la question que pose cette décision. Les clauses qui posaient problème concernent en effet des remises de fin d'année  "calculées sur le chiffre d'affaires de l'année en cours (...) sans aucune contrepartie ". Cela signifierait donc que le distributeur peut-être contraint d'indiquer dans son contrat annuel de vente et pour chaque demande de remise, les contreparties qu'il propose. Dans le cas contraire, il risquerait une condamnation par le juge.

Devant les juges, la centrale d'achat de Leclerc a argué que les remises de fin d'année "n'ont pas à faire l'objet d'une contrepartie puisqu'elles participent du prix de vente du produit entre le fournisseur et le distributeur."

Or, "la Cour rappelle que le principe de la négociabilité du prix instauré par la loi LME et formalisé par des conditions particulières de vente conclues entre le fournisseur et le distributeur, n'est pas sans limite et le juge doit sanctionner les pratiques commerciales restrictives et peut annuler des clauses contractuelles qui créent un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, y compris lorsque ces clauses sont relatives à la détermination du prix", pointe du doigt Olivier Lacotte, avocat spécialiste des négociations commerciales, au sein du cabinet Fidal.

Éventuellement en position de faiblesse face à des distributeurs qui détiennent d'importantes parts de marché, certains fournisseurs rechigneraient à engager des poursuites. Mais le ministère de l'Economie peut le faire à leur place. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans ce cas.

Encadrement des négociations

Si cette décision fait jurisprudence, une clause imposant des remises sans contrepartie sera-t-elle donc de fait jugée illégale dans ce cas précis? Il faudra attendre la décision de la Cour de cassation, du moins si elle est formellement sollicitée, pour en avoir la certitude.

Cette décision intervient dans un contexte particulier. En effet, les négociations commerciales se sont particulièrement tendues depuis la conclusion d'alliances entre plusieurs groupes de distribution fin 2014. Les agriculteurs en dénoncent les effets sur leur activité de façon spectaculaire, déversant par exemple des gravats devant une grande surface de Leclerc à Vannes.

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