Clément Beaune s'engage pour un fret ferroviaire public, quitte à sacrifier Fret SNCF

Par Léo Barnier  |   |  1135  mots
Le gouvernement français semble plus enclin à jouer la carte de la discontinuité plutôt qu'aller à l'affrontement avec la Commission européenne.
Faut-il sauver le soldat Fret SNCF ? A priori non, dès lors qu'un opérateur public de fret ferroviaire existe et que l'emploi est préservé. C'est la ligne privilégiée par la France et son ministre des Transports, Clément Beaune, pour se sortir de l'étreinte de la Commission européenne qui enquête sur les aides d'Etat illégales perçues par Fret SNCF.

Après plusieurs reports, la rencontre a bien eu lieu. Ce mardi, Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, s'est entretenu avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la SNCF - CGT Cheminots, UNSA Ferroviaire, SUD-Rail et CFDT Cheminots - ainsi que Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe SNCF, à propos de la brulante question de l'avenir de Fret SNCF. La filiale du groupe dédiée au fret ferroviaire est menacée de liquidation par la Commission européenne, faute de pouvoir assumer seule une dette de plus de 5 milliards d'euros. Le ministre a pu faire le point avec eux sur les discussions en cours avec Bruxelles et les options possibles pour Fret SNCF. Mais celles-ci apparaissent comme limitées.

Lors de cette rencontre, Clément Beaune a affirmé son engagement pour un fret ferroviaire public, contrôlé par le groupe SNCF, comme il l'avait déjà fait un peu plus tôt dans la journée, lors de l'interruption par une cinquantaine de militants de SUD-Rail d'un colloque d'usagers des transports dans lequel il intervenait.

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Choix cornélien

Venu au contact des cheminots, le ministre a ainsi déclaré : « Nous avons besoin du fret (ferroviaire) public en France, il n'y aucun doute là-dessus. Nous allons annoncer des investissements supplémentaires et continuer à avancer sur le fret. Il y a eu des efforts ces dernières années, et nous sommes en train de reconquérir des parts de marché par rapport à la route et aux camions. C'est de l'écologie concrète. Je veux défendre cela et ne pas le laisser tomber. » Dans la même intervention, il a insisté sur son engagement pour une entreprise publique : « Je le dis très clairement : il n'y aura pas de privatisation. Il y aura un fret ferroviaire public qui va rester en France et nous allons le développer. »

Pour autant, cette entreprise de fret ferroviaire public ne sera probablement pas Fret SNCF. Lors de son échange avec les militants de SUD-Rail, Clément Beaune n'a pas caché la couleur : « Nous devrons discuter ensemble de décisions qui seront parfois difficiles ». Et notamment celle de la liquidation de Fret SNCF, celle-ci étant dans l'incapacité de rembourser sa dette de 5,3 milliards d'euros aujourd'hui consolidée - ce qui est considéré comme une aide d'Etat illégale par la Commission européenne - dans les comptes du groupe SNCF.

Comme l'expliquait La Tribune la semaine, seuls deux choix s'offrent à la France pour sortir de cette situation extrêmement délicate. Tout d'abord aller au contentieux face à la Commission européenne, et laisser un tribunal trancher la question. Mais comme le laisse-t-on entendre du côté du ministère des Transports, la probabilité est forte de voir le juge se prononcer pour le remboursement des 5 milliards d'euros par SNCF Fret, ce qui signerait irrémédiablement la mort de l'entreprise.

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Vers un nouvel opérateur public

L'autre option est de trouver un compromis avec Bruxelles autour d'une solution dite « de discontinuité », avec la liquidation de Fret SNCF (et donc de sa dette) et la création d'une nouvelle structure. Des discussions sont menées en ce sens sous l'égide de Clément Beaune, confirme-t-on à l'Hôtel de Roquelaure afin de permettre à une activité de fret ferroviaire public de se poursuivre de façon viable en dépit des éléments de discontinuité imposés par la Commission (abandon de la marque, ouverture du capital, taille réduite, abandon de parts de marché à la concurrence...). Ce qui ne sera pas gagné au vu des pertes colossales enregistrées par Fret SNCF depuis des années (même s'il a redressé quelque peu la barre depuis deux ans).

Il faut pour cela trouver la bonne formule, un schéma ad hoc, affirme le ministère. Une reproduction des conditions imposées à l'Italie pour le remplacement d'Alitalia par ITA Airways, dernier exemple en matière de discontinuité, conduirait vraisemblablement à un échec. Paris souhaite avant tout préserver le cœur d'activité de Fret SNCF, à savoir la gestion capacitaire (offre de wagons isolés, ou de coupons de wagons pour répondre aux besoins des clients sur des axes donnés) qui représente 80 % du chiffre d'affaires et 90 % des salariés, quitte à laisser l'activité de trains dédiés aux acteurs privés. Des propositions seront présentées à partir de demain aux instances représentatives du personnel avant un CSE exceptionnel la semaine prochaine.

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Lignes rouges ministérielles

Dans ces négociations, le ministre a posé trois lignes rouges, à savoir le maintien d'un opérateur public, sous le contrôle du groupe SNCF. Derrière cette étiquette de contrôle public, une partie du capital pourrait tout de même être ouverte aux investisseurs privés ou de préférence publics. Des discussions portent notamment sur la structure juridique que pourrait prendre cette future entité.

La deuxième ligne rouge est la préservation de l'emploi avec zéro licenciement. Cet objectif, partagé par la direction de la SNCF, conduirait d'une part à reprendre dans la nouvelle structure l'ensemble des salariés de Fret SNCF dont l'activité est préservée, et d'autre part à proposer un reclassement au sein du groupe aux salariés dont l'activité serait transférée vers des opérateurs privés. Ces derniers pourront aussi suivre le transfert d'activité et changer d'entreprise s'ils le souhaitent.

La dernière volonté de Clément Beaune est d'éviter tout report modal vers la route et les camions. Le ministre a ainsi réaffirmé sa volonté de mener à bien l'objectif de doublement de la part modale du ferroviaire inscrite dans la loi Climat et résilience de 2021, qui concerne aussi bien les passagers que le fret. Après une faible progression, de 9 à 10 %, ces dernières années, un recul de la part modale du fret ferroviaire serait vu comme un échec.

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Nouveaux investissements

Le ministère prépare d'ailleurs de nouveaux investissements. Il veut ainsi renforcer les 170 millions d'euros par an décidés dans le cadre du plan France relance pour le soutien à l'exploitation avec un apport de 30 millions d'euros par an supplémentaires, mais seulement à partir de 2025. Le fret recevra également 4 milliards d'euros sur la prochaine décennie, dont 2 milliards seront apportés par l'Etat, pour soutenir les infrastructures. Cela s'inscrit dans le cadre du plan de 100 milliards de soutien au ferroviaire décidé par la Première ministre en février.