
Sur les quais du Havre, le souvenir est encore frais. Il remonte au 8 juillet dernier. Ce jour-là sous un soleil de plomb, le patron de la firme Terminal Investment Limited (alias TIL), filiale terrestre du premier armateur mondial MSC, apporte un cadeau en or massif au port normand. Cornaqué par Edouard Philippe et Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, Ammar Kanaan annonce que son groupe va investir 700 millions d'euros pour tripler la capacité de ses terminaux à conteneurs. A la clef, la promesse de 1,5 million de « boîtes » supplémentaires et le recrutement de 900 dockers. Champagne !
Mais Ammar Kanaan n'en fait mystère. Il compte bien obtenir quelques contreparties de la part de la puissance publique pour prix de cet effort sans précédent. Devant les journalistes, il insiste sur l'urgence de développer « de nouvelles liaisons ferrées » pour faciliter l'acheminement des marchandises arrivées par la mer. Un message reçu 5 sur 5 par Hervé Morin, président de la Région Normandie.« TIL a clairement fait comprendre que nous avions de grandes marges de progrès sur le fret par le rail ». Un euphémisme tant le déclin du fret ferroviaire français est patent depuis la libéralisation du secteur. Le ministre des Transports est bien obligé de l'admettre. « Nous n'avons pas assez de transports verts pour évacuer les marchandises de nos ports », concède Clément Beaune entendu au siège de Régions de France.
Un débouché en Centre Val de Loire
Les lignes commenceraient-elles à bouger ? Le milliard promis par l'Etat au profit de la relance du fret semble produire ses premiers effets. « 500 millions ont déjà été engagés avec des investissements très concrets comme à Vénissieux ou à Valenton, la dynamique est lancée », jure main sur le cœur Mathieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau qui promet d'autres chantiers dans les prochains mois.
Confirmation cette semaine avec l'annonce de la construction d'un nouveau terminal dédié au transport combiné (rail-route) sur la commune de Fleury-les-Aubrais située au barycentre du nœud ferroviaire et routier de l'Orléanais. Livrable mi-2025, la future plateforme, quoique encore sous dimensionnée de l'aveu même du patron de SNCF Réseau, devrait être capable de recevoir quotidiennement quatre trains. Des convois chargés chacun d'une quarantaine de conteneurs ou de semi-remorques, en provenance ou à destination du Havre. « Cela reviendra à retirer 150 camions de la route tous les jours moyennant une division par 9 des émissions de CO2 et par 6 de la consommation d'énergie », nous assure t-on.
Montant de l'investissement : 10,3 millions d'euros dont la moitié prise en charge par l'Etat. Fait inhabituel, deux Régions apporteront leur pierre à l'édifice : le Centre-Val de Loire (pour un peu plus de 40%) et la Normandie (un peu moins de 10%). Une dépense parfaitement justifiée aux yeux de leurs présidents respectifs. « Nous posons un acte fort qui aurait été impensable il y a 15 ans lorsque le fret ferroviaire était considéré comme "has been" », s'enflamme le ligérien François Bonneau. « A travers cette contribution, nous adressons un message à ce grand opérateur qu'est MSC », glisse son alter ego normand en écho.
Peut mieux fer
Pour autant, le terminal des Aubrais sera loin de suffire pour rattraper le retard et absorber le surcroît de flux promis au Havre. Stéphane Raison, patron d'Haropa Port, l'établissement public qui chapeaute les ports de la Seine, en est conscient. Lui plaide pour un déploiement rapide d'autres plateformes sur le même modèle. « Nous avons besoin de points d'arrivées dans les grandes métropoles situées à l'Ouest du couloir rhodanien », argumente-t-il. Un message à peine voilé à l'intention de SNCF Réseau qui doit accoucher d'un schéma directeur des plateformes multimodales à l'automne prochain.
Reste à espérer que les projets n'avanceront pas à un train de sénateur. En 2022, les opérateurs ont en effet manifesté un regain d'intérêt pour le transport combiné rail-route. Le trafic décompté en tonnes par kilomètres a dépassé de 30% son niveau de 2019, dernier exercice avant la crise Covid. Il serait dommage que le soufflé retombe faute d'investissements dans les infrastructures. Cela n'est pas un hasard si SNCF Réseau, dont les finances sont à marée basse, réfléchit à de nouveaux moyens de faire monter les acteurs privés dans le train.
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