Tesla : Elon Musk bluffe-t-il ?

Par Estelle Nguyen  |   |  999  mots
Le prix indicatif de 420 dollars par titre, annoncé par Elon Musk sur Twitter, ferait ressortir une valorisation d'environ 71 milliards de dollars pour l'ensemble du groupe. (Crédits : Lucy Nicholson)
La proposition d’Elon Musk sur une sortie de Tesla de Bourse avait fait bondir le titre ce mardi 7 août. Mais ce projet laisse les banquiers et les analystes sceptiques. Le constructeur américain de voitures électriques n’échappera d’ailleurs pas à une investigation de la SEC, gendarme américain des marchés financiers, qui soupçonne notamment une manipulation boursière.

Le patron de Tesla a toujours fait les choses à sa façon et cela soulève beaucoup de questions. Ce mardi 7 août, Elon Musk s'est emparé de son compte Twitter pour annoncer, en pleine séance, son intention de faire sortir Tesla de la Bourse. Il souhaite en effet que la marque ne soit plus dépendante des nombreuses attaques spéculatives ni des analystes financiers qui dénoncent de plus en plus régulièrement les risques de faillite du groupe automobile de luxe. Dans un mail envoyé à ses salariés, Elon Musk liste plusieurs inconvénients et estime que le groupe est meilleur lorsque « tout le monde se concentre sur son travail », et non sur les cours de Bourse.

 J'envisage de retirer Tesla de la Bourse à 420 dollars (par action). Financement assuré » a tweeté Elon Musk.]

Le prix indicatif de 420 dollars par titre fait alors ressortir une valorisation de 71,6 milliards de dollars pour l'ensemble du groupe. Cette annonce avait rapidement affolé Wall Street et avait eu un net impact haussier sur le titre, qui a ensuite tempéré ses gains en perdant 2,4% à 370,34 dollars dans la journée de mercredi. Bien en-dessous, donc, des 420 dollars annoncés dans le tweet du PDG de Tesla.

Une manipulation de marché ?

Deux jours après avoir assuré sur son compte Twitter qu'il avait obtenu les fonds nécessaires, auprès d'investisseurs, notamment chinois, Elon Musk, qui détient 20% environ du capital de Tesla, n'a toujours pas fourni de preuve pour étayer ses propos.

La SEC (Securities and Exchange Commission) a d'ailleurs lancé une enquête sur la faisabilité d'un retrait du fabricant de voitures électriques haut de gamme.

« Il [Elon Musk] prétend qu'il y a une source spécifique de financement, alors cela a intérêt à être vrai ! Il a aussi affirmé qu'il y avait un montant spécifique disponible pour le financement. Cela devra être vrai. Autrement, même si cela ne relève pas de la manipulation, cela reste de la fraude » a déclaré l'ancien président de la SEC, Harvey Pitt, dans une interview à CNBC.

La règle 14e-8 de la SEC interdit effectivement à des sociétés cotées d'annoncer des plans d'achat ou de vente de titres si les dirigeants n'ont pas l'intention de donner suite ou n'ont pas les moyens de les finaliser.

L'autorité de marché va notamment chercher à savoir si l'annonce du fondateur du constructeur automobile américain repose sur des éléments concrets et un projet réel. Elle va également se demander s'il ne s'agit pas d'une annonce destinée à manipuler le marché dans le but de doper le cours de Bourse. Cette hypothèse pourrait tenir la route car Elon Musk s'était souvent plaint du prix de l'action. Harvey Pitt ajoute qu'annoncer un chiffre précis pour se retirer de la cote est « extrêmement rare » et « pose des questions significatives sur l'intention de ce message ». D'après le Wall Street Journal, le régulateur américain a déjà demandé à la société si ce qu'Elon Musk avait tweeté était factuel et pourquoi une telle annonce avait été faite sur les réseaux sociaux plutôt que dans un document officiel.

Retirer Tesla de la Bourse ne sera pas chose aisée

Pour l'heure, plusieurs membres du conseil d'administration de Tesla ont confirmé que le projet d'Elon Musk a bel et bien fait l'objet de plusieurs réunions. Techniquement, retirer Tesla de la Bourse est possible mais ce ne sera pas chose aisée.

« M. Musk ne peut pas juste aller sur les marchés et acheter des actions. Il doit s'en référer au conseil d'administration, qui doit former un comité indépendant, qui engagera ses propres conseillers juridiques et bancaires afin de déterminer un prix leur semblant juste et le négocier » a expliqué à l'AFP John Coffee, spécialiste du droit à l'université de Colombia.

Si le prix de 420 dollars par titre s'avère correspondre à la cotation, Elon Musk devra ainsi assumer une valorisation de 71,6 milliards de dollars, à ce jour le montant le plus élevé jamais obtenu pour une telle opération. Le constructeur automobile américain, endetté à hauteur de 10,9 milliards de dollars, n'a pourtant encore jamais prouvé sa capacité à gagner de l'argent sur une année entière. Les finances s'avèrent en effet tendues pour Tesla, puisque le groupe a perdu près de 2 milliards de dollars en 2017 et dépensé 1,8 milliard de dollars en investissements à ce stade de l'année. Le groupe mise gros sur le succès de son dernier-né, le Model 3, qui connaît d'importants retards de production. Tesla peut toutefois s'appuyer sur un point positif : la récente flambée du cours après l'annonce de son PDG sur une éventuelle sortie de la cote a porté l'action à une dette convertible de 2,3 milliards de dollars, réduisant potentiellement les futures obligations de Tesla en termes de trésorerie.

Même si les analystes pensent que Tesla pourra difficilement supporter d'autres dettes, l'hypothèse d'un LBO (leveraged buy-out) a également été évoquée. Ce  montage financier permet à une holding créée spécialement de racheter une société en empruntant massivement de l'argent.

Elon Musk campe sur ses positions et se dit certain que cette opération se fera. Il a même récemment retweeté un sondage mené par le site spécialisé Electrek, selon lequel les lecteurs seraient favorables à une sortie de Tesla de la Bourse.

Le patron du fabricant automobile prévoit déjà également la création d'un fonds spécifique pour les particuliers, notamment pour tous ses employés, qui détiennent actuellement des actions et souhaitent continuer d'investir dans Tesla. Les autres seront payés à hauteur de la cotation.