La longue et sinueuse route vers une nouvelle mobilité

ZERO CARBONE. Avec plus de 30 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES), le transport est en France le secteur le plus polluant. Comment réduire la place des véhicules à combustibles fossiles et repenser les mobilités urbaines ? Un sujet complexe abordé par les intervenants du Forum Zero Carbone organisé le mercredi 30 novembre à l'Hôtel de Ville de Paris.
(Crédits : Sipa)

Vidéo 1 - #ForumZéroCarbone Paris - Faut-il vraiment en finir avec la voiture en ville ?

Vidéo 2 - #ForumZéroCarbone Paris - La démobilité, nouveau projet social ou fausse bonne idée ?

Les villes étouffent de la pollution. Le 16 novembre, New Delhi a dû fermer ses écoles, arrêter les chantiers et enjoindre aux habitants de travailler de chez eux pour éviter une catastrophe sanitaire. En France, la maire de Paris a fait de la réduction de la présence automobile le marqueur de sa stratégie politique. Le moment d'en finir avec la voiture en ville serait-il arrivé ?

Un sujet brûlant car ceux qui viennent dans les métropoles pour travailler ou se faire soigner n'ont pas toujours d'autres possibilités de transport à leur disposition. Dans les territoires, la voiture est un incontournable de la vie quotidienne et souvent le seul moyen de rejoindre la grande ville la plus proche. Marseille, deuxième agglomération la plus embouteillée de France et dont le réseau autoroutier est le quatrième le plus saturé d'Europe, accuse un retard certain sur la place de la voiture en ville selon Audrey Gatian, adjointe au Maire de Marseille en charge de la politique de la ville et des mobilités : « la ville n'a pas opéré ce virage vers une mobilité plus douce. Mais notre volonté est forte de réduire cet écart en modifiant la manière de se déplacer ».

Karima Delli est députée européenne et présidente de la commission du transport et du tourisme au Parlement européen depuis 2017. Elle met en lumière l'absence d'un critère fondamental dans les études sur la mobilité : le taux d'occupation des véhicules, « qui va devenir un des grands indicateurs dans les années à venir ». L'autosolisme (seul dans sa voiture) est un frein à la fluidification du trafic et donc à la baisse des émissions. Pour la députée européenne, il faut partir des usages pour créer des schémas de mobilité intelligents : « en France, tous les échelons administratifs ont des compétences en matière de mobilité, ce qui engendre une complexité préjudiciable à la prise de décision. Il faut renforcer les transports en commun et le partage intelligent de la voiture ».

Appli et covoiturage

Avec son appli, Virtuo offre un service de voiture à la demande. Sa clientèle : des urbains non motorisés qui utilisent ce service pour des déplacements longs (4 jours et  500 km en moyenne). « Nous sommes convaincus que ce mode de transport n'a pas sa place dans les zones densément peuplées. Or, en ville, la moitié des trajets de moins de 2 km se font encore en voiture » explique Thibault Chassagne, cofondateur Virtuo. Le covoiturage est une autre solution pour réduire cette place de l'automobile dans les zones urbaines. Jean-Baptiste Schmider, président de l'association des acteurs de l'autopartage (AAA) et PDG du réseau Citiz, met en lumière les paradoxes de cet usage : « la moitié des parents amènent leurs enfants à l'école maternelle en voiture pour éviter qu'ils ne se fassent renverser par une voiture ! ».

Une situation ubuesque qui pourrait être évitée en choisissant des moyens plus adaptés aux trajets courts (marche, vélo, transports en commun) et l'autopartage pour les déplacements longs. « Une voiture partagée remplace de 5 à 10 voitures particulières et réduit de 50 % les émissions d'un conducteur solo » rappelle Jean-Baptiste Schmider. Mais pour beaucoup, automobile égale liberté. Cette notion est consubstantielle de la voiture particulière et certains la mettent en avant pour ne pas changer leurs usages. «  Le sujet est complexe, avec beaucoup d'affect. Néanmoins, les termes qui la définissent  sont en train de changer : on passe d'un vocabulaire émotionnel à quelque chose de plus rationnel » analyse Xavier Horent, Délégué Général au CNPA (Conseil National des Professionnels de l'Automobile), l'organisation représentative des métiers de la distribution et des services de l'automobile.

Le coût non négligeable d'une mobilité plus douce

Mais il ne sera pas aisé de convaincre les gens d'abandonner leur chère auto. À Marseille, la nouvelle municipalité socialiste veut offrir des alternatives aux habitants de la cité phocéenne. « Le plan Marseille en Grand (1 milliard d'euros d'aides de l'Etat dont 256 millions pour développer le réseau de transport public et  744 millions d'avances remboursables allouées à la métropole) va nous aider à  accélérer, en particulier sur les quartiers Nord très mal desservis. Et nous allons encourager la pratique du vélo ainsi que l'autopartage » précise Audrey Gatian. Une manière d'éviter « une mobilité subie plutôt que choisie » évoquée par Karima Delli : « la voiture ne va pas disparaître mais son usage et son imaginaire vont évoluer ».

Le chemin est encore long : à Paris, il en y a 400.000 pour 5.000 véhicules partagés. « La technologie, particulièrement le smartphone, peut aider à remplacer cette voiture individuelle par une multitude d'autres services » pense Thibault Chassagne. Des mobilités annexes qui ne font sens que dans les zones urbaines denses. Xavier Horent, lui, rappelle une réalité financière qu'il ne faut pas négliger : « cette révolution va coûter très cher, jusqu'à 3 % du PIB (72 milliards d'euros), soit la moitié des recettes de la TVA ou deux fois l'impôt sur le revenu ». Plus radical encore que la réduction de la voiture en ville, le concept de démobilité peut-il devenir un nouveau projet social ? Christophe Gay, directeur du Forum Vies Mobiles, think tank de la mobilité soutenu par la SNCF, préfère parler « d'évitement des déplacements carbonés » : « l'enjeu est de réduire les distances à parcourir. On ne s'arrête pas de bouger mais on transforme la manière de se déplacer ».

La démobilité, ange ou démon ?

Pour Marie-Claude Dupuis, directrice du département Stratégie, Innovation et Développement du groupe RATP, la démobilité nous renvoie aux confinements, périodes difficiles durant lesquelles les déplacements avaient quasiment disparu. Mais elle comprend le retour de ce  concept compte tenu des enjeux climatiques : « ce n'est pas tant la démobilité qu'il faut traiter mais une offre de mobilité propre et partagée ».

Démobilité rime-t-elle avec décroissance, notion qui rebute une bonne partie de la population ? Pour Karima Delli, « nous sommes devenus boulimiques de la mobilité. Le Covid nous a apporté un moment de réflexion. Il faut s'interroger sur la source de nos déplacements. C'est un débat totalement nouveau dans notre société ». Le maire du Bourget, Jean-Baptiste Borsali, estime lui qu'il s'agit d'un thème contradictoire : «  c'est un sujet imposé par cette crise sanitaire qui ne sera plus à l'ordre du jour dans quelques années. Pour qu'un territoire soit attractif, il doit être accessible en termes de transports. Le Bourget accueille le premier aéroport d'affaires d'Europe, un site où le télétravail n'est pas possible ».

Reste qu'éviter les déplacements représente le levier numéro un pour atteindre une mobilité moins nocive, une pratique fortement recommandée par l'ONU. « Dans nos enquêtes, les gens aimeraient pouvoir exercer leurs activités quotidiennes à 30 minutes de chez eux, en mode actif (marche, vélo) ou en transport motorisé » explique Christophe Gay.

Le MaaS, appli de la ville du quart d'heure

La ville du quart d'heure, concept popularisé par Carlos Moreno, commence à essaimer (Paris, Milan, Dublin, Singapour, Melbourne, Ottawa, etc.). Mais pour qu'il soit efficace, il nécessite la présence d'infrastructures : « dans mon département, la Seine-Saint-Denis, les gens doivent venir à Paris pour avoir une consultation chez un spécialiste. Il faut aussi attirer des commerçants. C'est une belle idée, mais c'est un chantier à envisager sur plusieurs mandats » tempère le maire du Bourget, pour qui une offre suffisante de transports en commun est une base « non négociable ». Le MaaS (mobilité comme un service), dans lequel les usagers peuvent créer et gérer leur voyage à partir d'une seule plateforme ou appli pourrait être la clé qui ouvrira les portes de la ville du quart d'heure.

« Ce système est encore relativement inconnu mais ça va changer, car les citoyens veulent faire baisser leur empreinte environnementale et gagner du temps » pense Adina Iona Valean, Commissaire européenne des transports. Mulhouse est la première ville française à avoir mis en place un système Maas en 2018. « Nous avons créé un compte mobilité : une appli qui offre un guichet unique pour la location de vélos et de voitures. Elle fournit aussi des informations en temps réel sur l'état du réseau et la disponibilité des parkings. Pour les usagers, les démarches sont simplifiées. C'est une forme de communication directe entre municipalité et usagers » décrit Michèle Lutz, maire LR de Mulhouse. L'expérience concerne pour l'instant 10 000 personnes, encore loin des chiffres visés.

Une adoption à petits pas

La version 2 bénéficie d'un compteur intermodal en temps réel. « Nous expérimentons aussi l'outil MOB (Mon Compte Mobilité), piloté par le Ministère des transports et Cap Gémini, pour intégrer les aides financières auxquelles l'usager a droit » ajoute Michèle Lutz. La RATP croit aussi au MaaS : elle vient de créer un département qui lui est consacré. « Il y a un an, nous avons racheté Mappy. Depuis, nous développons deux MaaS : bonjour RATP, adressé aux usagers, avec lequel ils peuvent avoir des informations mais aussi acheter des tickets de transport, et, depuis juin, réserver un vélib ou une trottinette. Le second est destiné aux automobilistes pour leur permettre un accès facilité aux centres-villes » explique Florence Leveel, directrice de la business unit MaaS de RATP Smart Systems (filiale digitale du Groupe RATP).

La mobilité comme un service, sésame pour des déplacements sans coutures ? Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte spécialiste de la mobilité, tempère cet enthousiasme : « il faut reconnaître que nous sommes en deçà des promesses initiales ». Voyager moins cher, plus vite et plus durablement : l'appli magique ne fait pas encore recette selon l'associé de Deloitte, qui rappelle que dans les capitales nordiques qui l'utilisent depuis cinq ans, comme Helsinki, les taux d'utilisation stagnent entre 3 et 5 %.

Pour Michèle Lutz, s'approprier ce genre d'appli prendra du temps, mais représente le futur : « à Berlin, ça fonctionne bien ». Reste à savoir où va se situer la valeur de ces systèmes, dont la data et son traitement sont le moteur, et par qui elle sera captée. On pense bien sûr aux GAFAM qui pourraient lorgner sur le MaaS. « Pour les grands opérateurs, comme la RATP, il vaut mieux agréger les autres qu'être agrégé par d'autres. Par ailleurs, je crois que les contraintes réglementaires qui se dessinent seront déterminantes dans l'adoption du MaaS » conclut Guillaume Crunelle.

Vidéo 3 -  #ForumZéroCarbone Paris - Le MaaS, une solution enfin crédible ?

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Commentaires 3
à écrit le 26/12/2021 à 10:33
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La mobilité urbaine, est la conséquence de la ville, c'est à dire un espace réduit pour bouger, se déplacer, vivre. Un espace densifié qui n'est adapté ni à la vie, ni à la mobilité, ni à rien de ce que peut avoir besoin d'essentiel un être humain. ...

à écrit le 25/12/2021 à 0:17
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Ce qui est curieux, c'est qu'on n'envisage JAMAIS que la ville est un problème insoluble et que peut être... sans doute..'"on" pourrait envisager de la décompresser en en transportant une partie à la campagne. La régulation du climat en terme de tem...

à écrit le 24/12/2021 à 9:12
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On s'occupe uniquement de la mobilité sans penser que la voirie et aire de stationnement ont besoin pour leur construction ou réparation de produit issue du pétrole ou d'une cimenterie donc émetteur de CO³!

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