Quand les grands du CAC s'engagent

<b>LE CONTEXTE - </b>ONG, institutions et collectivités locales sont de plus en plus sensibles à l'impact environnemental et social des entreprises. <br /> <b>L'ENJEUX - </b>Leurs fondations, inspirées par l'ESS, permettent aux majors de se construire une bonne image, tout en expérimentant des modèles économiques adaptés aux marchés du « bas de la pyramide »...
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Conformément aux préceptes de Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix 2006, fondateur de la Grameen Bank et inventeur du microcrédit, le social business a pour objectif d'apporter une solution à une problématique sociétale, en réservant les éventuels bénéfices à la diminution des coûts et à la production d'avantages sociaux, sans rémunérer les actionnaires. Un modèle bien éloigné de celui des entreprises traditionnelles... Et pourtant, depuis quelques années, elles sont de plus en plus nombreuses à s'y aventurer.

Danone, Veolia, total, GDF Suez, Schneider...

À commencer par le groupe français Danone. Le géant de l'agroalimentaire (19,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011 et près de 102.000 salariés) a ouvert la voie. La Grameen Danone, son initiative de commercialisation de yaourts développés pour les populations pauvres du Bangladesh, a vu le jour en 2007 suite à la rencontre entre son PDG, Franck Riboud, et Muhammad Yunus. Depuis, « Danone.communities » est devenu un incubateur d'entreprises à vocation sociale, financé par une sicav créée avec le Crédit agricole. Il accompagne une dizaine de projets dans le monde dont deux en France, autour de l'eau et la nutrition. L'initiative a fait des émules, principalement dans l'eau et l'énergie, deux clés du développement. Veolia a ainsi inscrit ses pas dans ceux de Danone en 2009 avec un projet de distribution d'eau potable à Goalmari, en partenariat avec la Grameen Bank. En 2012, déclarée par l'ONU « année de l'accès à l'énergie pour tous », Schneider Electric a créé, en joint-venture avec l'entreprise Grameen Shakti, la Grameen Schneider Electric. Pour sa part, GDF Suez a lancé en 2011 le fonds « Rassembleur d'énergie » qui investit dans des projets d'accès à l'énergie durable et duplicable pour les populations pauvres. Enfin Total, via son programme Awango, a distribué en un an 125.000 lampes solaires au Cameroun, au Kenya, en Indonésie et en République du Congo. Il veut étendre son programme dans huit nouveaux pays et vendre un million de lampes d'ici à 2015. Il faut dire que 1,3 milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'électricité dans le monde, et que 2,7 milliards ne disposent pas d'énergie « moderne » et utilisent pour se chauffer et cuisiner des combustibles solides nocifs pour la santé et l'environnement. Un marché encore peu rentable, mais prometteur.
Le secteur de la bancassurance n'est pas en reste et s'implique généralement via des fondations et la distribution de microcrédits ou de microassurances, souvent par le biais des réseaux de microfinance. Par exemple, Crédit agricole, via sa fondation Grameen dotée de 50 millions d'euros à sa création en 2008, soutient ainsi 28 institutions de microfinance (IMF) dans 19 pays, en particulier en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. « Derrière ces financements, ce sont des dizaines de milliers de microcrédits qui sont accordés et qui contribuent à lutter contre la pauvreté. Nous essayons aujourd'hui d'aller plus loin en soutenant le social business, via la création d'un fonds spécial pour lequel nous espérons collecter de 15 à 20 millions d'euros avec l'aide des entités de banque privée du groupe », expliquait Jean-Marie Sander, président de Crédit agricole SA (lire La Tribune Hebdo du 5 octobre 2012). De son côté, Société générale revendique un soutien à une trentaine d'IMF, pour un montant total de 80 millions d'euros, dans des pays d'Afrique et d'Europe de l'Est qui correspondent à ses implantations bancaires. Sans oublier, bien entendu, l'action de BNP Paribas (lire page 30 ).En matière de microassurance - essentiellement de la couverture de prêts souscrits par des familles ou de petits entrepreneurs, via une faible cotisation - les initiatives ne sont pas réellement lucratives. Pourtant, le phénomène ne cesse de s'amplifier. Selon l'Organisation internationale du travail, « au moins 33 des 50 plus grandes compagnies d'assurance commerciale dans le monde proposent maintenant des produits de microassurance, alors qu'elles n'étaient que 7 en 2005 ».Si les entreprises classiques sont aussi nombreuses à s'engouffrer dans le social business, c'est bien qu'elles y trouvent leur compte ou espèrent l'y trouver. 60%

De déduction fiscale en France

Fiscalement, la création d'une fondation, de surcroît de droit luxembourgeois, n'est pas, par exemple, tout à fait neutre pour Crédit agricole, qu'elle soit traitée par le régime fiscal français comme par le régime fiscal luxembourgeois. En France, les versements effectués par les entreprises (assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés) au profit de leur fondation donnent lieu à une déduction fiscale égale à 60% du montant du don, dans la limite de 0,5% du chiffre d'affaires hors taxes de l'entreprise (loi Aillagon du 1er août 2003). En droit luxembourgeois, les donations faites à la création d'une fondation sont totalement exonérées d'impôt.
Dans leur pays d'origine, les grandes entreprises invoquent aussi l'impact positif sur la mobilisation des salariés et l'attrait exercé sur les jeunes diplômés, toujours plus soucieux de donner du sens à leur vie professionnelle. Mais c'est surtout dans le pays où est lancé le programme de social business qu'elles espèrent développer ou améliorer leur image. Avec Awango, par exemple, Total propose, avec les lampes solaires qu'il distribue, des services de maintenance, de garantie et de recyclage auprès de populations sans accès au réseau électrique. Le groupe vise l'équilibre financier en 2015. « Le social business, ça n'est pas de gagner des parts de marché le plus rapidement possible en profitant de la prime au premier entrant », rappelle cependant Emmanuel Léger, qui gère le programme. En revanche, apporter des bénéfices concrets aux populations locales, via ses 3.500 points de vente sur le continent africain, peut aider à soigner sa réputation dans les pays où le groupe est déjà présent.

La « bonne image », un facilitateur de business

Chez Danone aussi, on reconnaît l'intérêt des retombées locales. « Les ONG et les institutionnels, ou encore les collectivités locales propriétaires des sources d'eau que nous exploitons, sont de plus en plus sensibles à l'empreinte environnementale et à l'impact social des entreprises », témoigne Jean-Chris-tophe Laugée, directeur général du fonds Ecosystème. Doté de 100 millions d'euros pour cinq ans, ce fonds créé en 2009 pour aider les parte-naires et fournisseurs de Danone à traverser la crise a lancé en deux ans 41 projets avec des ONG.
Cet enjeu de réputation, déterminant pour qu'une entreprise puisse continuer d'exercer son activité dans un pays où elle est déjà installée, l'est au moins autant lorsqu'elle y prépare son implantation. Car, au-delà la responsabilité qu'elles invoquent du fait de leur statut de spécialiste de la santé par la nutrition, ou de pourvoyeur d'energie, le social business permet à des entreprises comme Danone ou Total de prendre pied dans des zones où elles sont absentes, et auprès de strates de la population qu'elles ne touchent pas encore.
La plupart des programmes de social business dans les pays en développement visent les consommateurs du « bottom of the pyramid » (théorisée par l'économiste CK Prahalad), qui disposent de moins de deux dollars par jour. Un marché de plus de 4 mil-liards de personnes, qui mérite bien quelques efforts d'adaptation de la part des groupes plutôt organisés à l'origine pour vendre leurs produits et services aux consommateurs des pays développés. Or, ces pro-grammes sont autant d'occasions de tester de nouveaux modes de distribution, de collaborations locales et de nouveaux produits.
Au Mexique, grâce au principe « la communauté vend à la communauté », Danone accède à des territoires dont il était jusque-là absent, tels que les favellas de Mexico, où il expérimente de nouvelles formes de microdistribution. Pour Total, le programme Awango est également riche d'enseignements sur la façon de travailler avec des partenaires locaux en Afrique, pour la fabrica-tion des lampes ou la distribution sur le dernier kilomètre.
Au Bangladesh, face au doublement des prix du lait, Grameen Danone a imaginé des yaourts plus petits mais au même apport nutritionnel, et étudie des produits contenant plus de céréales et moins de lait, moins coûteux et plus à même de supporter des ruptures de la chaîne du froid, avec un packaging réduit... « Dans les pays émergents, ce type d'innovation nous permet d'acquérir des consommateurs plus bas dans la pyramide », explique Emmanuel Marchant directeur général de « Danone.communities ». Dans la bancassurance aussi, ces initiatives « solidaires » permettent aux compagnies de poser un pied dans certains marchés difficiles à aborder de manière « traditionnelle » comme l'Inde, ou de consolider leur implantation dans un pays en s'intégrant davantage dans la vie locale. « De nombreux assureurs sont prêts à encourir des pertes sur les activités de microassurance pour pénétrer l'immense marché formel de l'assurance », constate le groupe financier canadien Desjardins dans une étude de juin 2011.

Gare aux contradictions!

Parfois, elles n'ont d'ailleurs pas le choix. « Tous les assureurs indiens ont l'obligation de jouer un rôle social. Nous devons délivrer au moins 55.000 polices [ou 20% des polices totales, ndlr], principalement de la microassurance, dans le monde rural », précisait Gérard Binet (latribune.fr du 4 août 2012), délégué général de BNP Paribas Cardif, qui a constitué une compagnie d'assurance avec la State Bank of India. Allianz et Axa distribuent eux aussi de la microassurance en Inde. Sans pour autant développer davantage de produits. Cependant, de façon moins visible mais plus profonde, les équipes impliquées dans ces initiatives s'en trouveraient durablement changées. « Tous les salariés qui participent à des projets « Danone.communities » en reviennent avec des compétences mais aussi un état d'esprit différent, qui leur permet d'appréhender leurs missions suivantes de façon plus entrepreneuriale », assure ainsi Emmanuel Marchant, qui évoque le management des forces de vente.
Le laboratoire pharmaceutique Boehringer, qui s'est engagé pour cinq ans auprès du réseau d'entrepreneurs sociaux Ashoka et finance 50 entrepreneurs sociaux dans le secteur de la santé partout dans le monde, compte bien y puiser l'inspiration pour développer des relais de croissance et inventer son modèle économique de demain.
Mais, quelles que soient ses motivations « en matière de réputation, l'entreprise a intérêt à faire preuve de cohérence dans ses messages », prévient Bénédicte Faivre Tavignot, qui dirige la chaire « Social business Entreprise et pauvreté » à HEC. Les parties prenantes, ONG, clients, pouvoirs publics ou jeunes recrues, sont en effet de plus en plus vigilantes. Gare donc aux contradictions entre communication et actions réellement engagées!

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