" Les retombées sur l'économie réelle seront bien plus fortes que prévu "

Le Royaume-Uni veut nationaliser huit banques. Quand l'Allemagne en viendra-t-elle à cette solution ?Je salue l'action du gouvernement britannique. Nous nous sommes mis d'accord au niveau européen pour que les Etats de l'Union stabilisent les banques importantes pour le système financier. Chaque pays décide ensuite, naturellement, de l'aspect concret du sauvetage des banques. La Grande-Bretagne a choisi d'emprunter le chemin de la nationalisation.Alors que le gouvernement fédéral s'y refuse encore...En effet. Dans le cas de Hypo Real Estate (HRE), nous sommes parvenus à stabiliser la situation grâce à une garantie de l'État. Les Américains ont choisi un fonds de sauvegarde de 700 milliards d'euros et c'est aussi une stratégie possible. Jusqu'ici, je ne vois pas de besoin de nationaliser, parce que le secteur bancaire allemand est encore assez modérément touché par la crise financière. Cela peut changer, car les incertitudes sur les développements futurs sont encore très élevées. Il importe pour le moment que le pouvoir politique apaise les craintes des marchés.Les mesures du gouvernement fédéral, comme la garantie sur la totalité des comptes d'épargne, n'ont pas réussi à le faire. Jusqu'où le DAX va-t-il s'enfoncer ?La garantie de l'État sur les comptes d'épargne a été très utile et a empêché une ruée des citoyens sur les guichets des banques. La garantie de l'État doit apporter une sécurité supplémentaire aux dispositifs déjà en place. Les politiques sont, dans le même temps, dans l'obligation de justifier le sauvetage des banques touchées avec l'argent des contribuables. Beaucoup de banquiers ne comprennent pas encore cela.C'est pourquoi vous avez déclaré récemment qu'il fallait " civiliser le capitalisme ". Comment ?On coupera aux exagérations malsaines et à la course aux rendements en interdisant les produits de titrisation, les dérivés et les produits structurés hors bilan, et en obligeant à disposer d'une couverture en capitaux propres. Si on interdit la vente à découvert, on empêche la création de bulles spéculatives. Si 20 % des risques de crédits ne sont pas transférés, cela disciplinera les pratiques.La chancelière Angela Merkel a réclamé une réforme de la régulation bancaire. Qu'est-ce qui doit être amélioré en Allemagne ?D'une façon générale, la régulation bancaire est satisfaisante en Allemagne. Notre système est bon, même s'il existe des possibilités d'amélioration, qui concernent principalement les relations entre la Bundesbank et le régulateur financier. Si une banque comme Depfa a des difficultés en Irlande et que sa maison mère HRE tombe en faillite, un régulateur bancaire allemand ne peut rien faire. Nous devons donc améliorer surtout la régulation bancaire au niveau européen. Un premier pas a déjà été fait, mais cela ne suffit pas. L'idéal serait la création d'un régulateur des marchés financiers européen à moyen terme, qui pourrait peut-être dépendre de la BCE.Qu'attendez-vous du sommet du G7 afin de calmer les marchés financiers ?L'objectif principal est de rendre plus flexibles les règles comptables pour les banques. Nous devons mettre cela en place en Europe le plus rapidement possible afin que les résultats du troisième trimestre, qui sont finalisés entre le 10 et le 20 octobre, soient concernés.Vous avez besoin pour cela du comité de normalisation comptable IASB, à Londres...Je voudrais que la Commission européenne et l'IASB aient, dans cette situation d'urgence, une nouvelle interprétation de la norme IAS 39 sur la valorisation et la comptabilisation des instruments financiers. Il s'agit de disposer de flexibilité pour la traduction, dans les bilans comptables des banques, des actifs disponibles à la vente. Nous devons assouplir ce principe de la " fair value " (valeur de marché), qui pourrait conduire à l'aggravation de la crise. La SEC, le régulateur américain, a décidé rapidement de permettre une interprétation plus flexible des règles et il est déjà possible pour le secteur financier américain de mettre en oeuvre ces interprétations dans leurs comptes, ce qui fait l'objet d'un long processus d'adoption en Europe. Aux Etats-Unis, une telle décision de la SEC a force de loi ! Là-dessus, je ne peux être qu'envieux...Que se passerait-il si on n'obtient pas cette flexibilité à courte échéance ?Je ne veux pas spéculer. Cela signifierait cependant que les comptes trimestriels des banques se dégraderont encore.Quelles conséquences la crise implique-t-elle pour la conjoncture ?Les retombées sur l'économie réelle seront bien plus fortes que celles attendues à ce jour. La prévision de croissance pour 2009 sera sensiblement abaissée par rapport à celle du printemps, en se situant également bien en deçà de 2008 et 2007.À propos de la prochaine réunion du G7 finances à Washington, quel rôle peut jouer le Fonds monétaire international pour favoriser une accalmie sur le front de la crise financière ?Nous discutons déjà de longue date des nouvelles missions du FMI qui a perdu ces dernières années son rôle de bailleur de fonds pour les pays en crise. J'apprécie l'existence de cette institution, qui évite d'aller en créer une nouvelle. Il s'agit de savoir si on en fait ou non une instance de surveillance des marchés financiers de la planète.La crise actuelle est-elle l'occasion de frapper un grand coup à l'encontre des paradis fiscaux ?Il va désormais être possible de lancer un processus qui avait été jusqu'à présent refoulé. Mais je ne veux pas de suite traiter l'intégralité du sujet. Le thème de la fraude fiscale, de même que le cas de Liechtenstein, vont déjà nous occuper lors d'une conférence devant se tenir le 21 octobre à Paris, à laquelle Eric Woerth et moi-même seront invités.Des Etats européens vont vouloir se profiler comme des havres protecteurs pour les placements financiers, et ainsi se faire une concurrence pour l'attrait des capitaux ?Lors de la réunion de Washington, nous examinerons si des mesures de soutien s'assimilent à une sorte de nettoyage du bilan, pendant que des entreprises continuent à traîner des actifs non liquides à leur bilan. Ce qui peut leur faire perdre de la compétitivité. Nous n'avons pas encore toute la clarté sur la méthode employée par les Etats-Unis pour financer le paquet d'aides de 700 milliards de dollars.Le président Sarkozy appelle à un assouplissement du Pacte de stabilité et de croissance européen. Faut-il mettre ce pacte entre parenthèses ?Le pacte réformé en 2005 octroie de la flexibilité aux Etats, qu'il s'agit désormais d'utiliser. Mais tout devrait être laissé de côté qui remette le pacte en question. Certains pays vont dépasser la barre des 3 % de déficit en termes de PIB. Pas l'Allemagne, sans vouloir me vanter. Il s'agira d'après le traité européen d'interpréter la définition d'une situation de récession. À ce stade chacun sera soutenu à l'intérieur du cercle des ministres des Finances de l'Union européenne.Un pragmatique qui veut civiliser le capitalismePeer Steinbrück tient bon. Le ministre allemand des Finances a beau s'être retrouvé ces quinze derniers jours dans l'oeil du cyclone, échafaudant in extremis par deux fois un plan de sauvetage de la banque hypothécaire Hypo Real Estate, il se dit encore persuadé de la solidité du système financier allemand. Il ne veut pas non plus revenir sur son objectif de retour à l'équilibre des finances fédérales dès 2011. Pourtant, ce social-démocrate (SPD) très pragmatique de61 ans ne veut pas non plus insulter l'avenir. Il se réserve le droit de recourir aux nationalisations. Mais Peer Steinbrück raisonne aussi sur le long terme et entend prévenir le déclenchement de nouvelles crises. Pour " civiliser le capitalisme ", il veut empêcher la course folle à la rentabilité, renforcer la régulation, mais aussi apporter plus de flexibilité dans la comptabilité des banques. Proche de Christine Lagarde, mais nettement plus distant avec Nicolas Sarkozy, ce politicien expérimenté, qui dirigea sept années durant le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, devra convaincre ses pairs européens et tenir la dragée haute aux lobbies du secteur financier.Il peut compter en cela sur la chancelière allemande, Angela Merkel.
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