Cette folle fraude d'une entreprise qui n'existait pas...

C'est l'histoire d'une entreprise qui n'a jamais existé autrement que sur le papier. Pourtant, des milliers d'actionnaires y ont investi, sa capitalisation boursière a brièvement dépassé 150 millions de livres (plus de 200 millions d'euros à l'époque), et ses dirigeants ont mené la grande vie. Entre Monaco, Londres, la Suisse, les Bermudes et l'Amérique latine, c'est devenu l'une des plus grandes fraudes de la Bourse de Londres pour les petites valeurs, l'AIM, symbole de la fascination de l'argent facile pendant les années fastes.Entre 2003 et 2005, Crown Corporation, qui se présentait comme une entreprise de capital-risque, était en Bourse. Mais l'entreprise n'avait quasiment aucun actif, si ce n'est une fausse promesse d'argent venant d'Amérique latine. En vendant leurs actions, qu'ils savaient sans valeur, ses dirigeants se sont enrichis de plusieurs dizaines de millions d'euros. Il aura fallu attendre le mois dernier pour que les principaux leaders de la fraude soient finalement arrêtés et condamnés.le beau parleurL'histoire commence à Monaco. C'est là que Mariusz Rybak, un entrepreneur canadien, emménage avec sa famille en 2001. L'homme est blessé?: son entreprise, Intelligent Detection Systems (IDS), spécialisée dans les systèmes de sécurité dans les aéroports, a fait faillite pendant l'implosion de la bulle Internet.C'est alors que au printemps 2003, il fait la rencontre d'un personnage haut en couleur, un certain Abraham Arad Hochman, dit Avi Beau Parleur, un affabulateur professionnel. Né en 1952 en Argentine dans une famille juive, il se vante d'avoir travaillé auprès du Premier ministre israélien. Toujours selon lui, il est désormais à la tête de Lambert Financial Investments, une société qui gère l'argent de quelque 2.000 riches familles de sa communauté.Lequel de ces deux Pieds Nickelés du capitalisme a essayé d'arnaquer l'autre?? Se sont-ils mis d'accord dès le début pour mettre sur pied une immense fraude?? Aujourd'hui encore, la réponse à ces questions n'est pas claire. Mais ce qui est certain est que leur association a illustré les limites d'un système.À l'été 2003, Mariusz Rybak crée Crown Corporation, une entreprise de capital-risque, mais sans capitaux. « Avi » Arad promet d'en devenir le principal actionnaire, à près de 60 %, en investissant 207 millions d'euros de Lambert Financial. Pour faire bonne mesure, Crown Corp. est alors enregistrée aux Bermudes, son directeur financier est un certain Jean-Pierre Regli, un Suisse basé à Lugano. Mais l'entreprise n'a pas le moindre bureau à Londres. Ce qui n'empêchera pas l'AIM, la Bourse des petites valeurs à la City, d'accueillir Crown Corp. à bras ouverts le 31 octobre 2003. Rapidement, la machine déraille. Avi Arad ne paye pas les 207 millions d'euros promis, mais sort de son chapeau un « certificat de dépôt » du même montant, placé sur un compte argentin de Banco do Brasil. Un certificat qui se révélera faux.Dans le même temps, l'entreprise annonce une grande nouvelle?: elle aurait décroché des contrats en Amérique latine pour 633 millions de dollars. Ceux-ci comprennent des constructions d'hôpitaux, d'usines de traitement des eaux et des ordures?L'action s'affole. Introduite à 370 pence, elle atteint 875 pence six semaines plus tard. L'entreprise, qui repose sur des promesses creuses et possède seulement 2,6 millions d'euros de cash, est alors valorisée à 210 millions d'euros à l'époque.digne d'un film de série bMais les affaires se détériorent. Les contrats d'Amérique latine sont rapidement jugés difficiles à exploiter et finalement transférés à Avi Arad, qui apporte en échange une « note de promesse » de 350 millions de dollars, censée arriver à maturité en mai 2005. Là encore, c'est un faux.Entre Avi Arad et Mariusz Rybak, la tension monte. Ce dernier envoie à plusieurs reprises Jean-Pierre Regli, son directeur financier, en voyage en Amérique latine pour vérifier l'existence des certificats de dépôts à Banco do Brasil. Les visites sont dignes d'un film de série B. Le Suisse rencontre plusieurs soi-disant représentants de Banco do Brasil, mais les rendez-vous se font généralement dans des hôtels, et non dans les bureaux de la banque. Comme excuse, Avi Arad explique que les embouteillages sont tels qu'il serait trop long d'aller jusqu'à l'établissement financier? À chacun des voyages, il réclame aussi plusieurs dizaines de milliers d'euros de « frais », et n'hésite pas à sortir les grands arguments quand nécessaire?: « Nous parlons de pays dangereux, qui peuvent être encore plus dangereux sans argent », écrit-il par e-mail en mai 2005.C'est en octobre de la même année que l'affaire finira par éclater. Sous pression, Avi Arad promet avoir transféré l'argent de Banco do Brasil à un compte d'ABN-Amro aux Pays-Bas. Mais cette dernière dément avoir reçu la moindre somme. La fraude est découverte et l'entreprise retirée de la Bourse. Mariusz Rybak a cependant pris la précaution de quitter le navire à temps?: il a démissionné de Crown Corp. à l'été 2005, et vendu in extremis presque toute sa participation, empochant ainsi près de 50 millions d'euros.Depuis, Crown Corp. a été renommée Langbar et ses dirigeants actuels s'occupent exclusivement de l'action judiciaire contre les fondateurs de l'entreprise. Au printemps 2008, Mariusz Rybak a accepté de payer une compensation de 30 millions de livres (34 millions d'euros), soit la quasi-intégralité de ses possessions. Il doit pour cela vendre son prestigieux appartement avenue de Grande-Bretagne à Monaco.fin de cavaleAvi Arad, en cavale, a finalement été arrêté à Barcelone fin janvier lors d'un coup de filet de la police espagnole. La justice britannique devrait logiquement entamer une procédure d'extradition. Lui, sa société Lambert Financial et Jean-Pierre Regli ont été condamnés le 29 janvier à verser 49 millions de livres (56 millions d'euros) de compensation. Ils avaient aussi été condamnés en 2006 à douze et six mois de prison respectivement, pour n'avoir pas respecté le gel de leurs actifs ordonné par la justice britannique. n
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