Comprendre, enfin, ce qui nous arrive

Pouvez-vous trouver quatre heures dans votre emploi du temps ? Si vous pensez que non, tant pis pour vous. Si c'est oui, précipitez-vous sur le petit livre de Michel Aglietta intitulé « la Crise. Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? » L'un des meilleurs économistes français y donne en 120 pages le décryptage point par point de la crise financière, devenue économique, que nous sommes en train de vivre.La clarté de la pensée se double d'une clarté de l'expression, due sans doute en partie au fait qu'il s'agit d'un entretien entre l'auteur et Pierre-Luc Séguillon, une forme orale donc, à l'origine, où le professeur qu'est Michel Aglietta (à Paris X-Nanterre) déploie des dons de pédagogue. Il se livre à un exercice d'économie immédiate puisque l'ouvrage est sorti des presses fin novembre. Il ne s'agit pas pour autant de journalisme. C'est un diagnostic posé, réfléchi, nourri de quarante ans de travaux sur l'économie monétaire internationale, le système financier et la régulation du capitalisme. Les failles du système, il n'a pas attendu la crise actuelle pour les décrire (son ouvrage « Dérives du capitalisme financier » date de 2004). Empressons-nous de préciser qu'il ne parle pas en moraliste mais en économiste.Aglietta pointe trois explications « techniques » au développement de la bulle. La première est l'adoption de nouvelles normes comptables qui apprécient la valeur des actifs sur la base des prix du marché (« mark to market »). En phase d'euphorie, la dette des acquéreurs d'actifs paraît faible en regard de la valorisation toujours plus haute des actifs. Du coup, les banques ne perçoivent pas le risque. Deuxième outil pervers, les « credit default sawps » (CDS). Les banques « vendent leur risque » ce qui fait sortir les crédits vendus de leur bilan et libère ainsi du capital pour faire de nouveaux crédits. Les « acheteurs de risque », eux, n'engagent pas de capital, et gagnent beaucoup d'argent? jusqu'à ce que les défauts de paiement se matérialisent. Ces dérivés de crédit ont été multipliés par 100 en dix ans, atteignant 62.000 milliards de dollars ! Troisième dispositif en cause : le changement du mode d'évaluation du risque par les banques. Au lieu d'estimer la situation de l'emprunteur, ses capacités à rembourser, elles sont passées à un système statistique, à partir d'une modélisation dite « value at risk ». Et, comme de toute façon elles se débarrassaient ensuite des crédits via les CDS, elles n'étaient pas incitées à évaluer très finement le risque.Michel Aglietta montre aussi que la précédente crise, celle de 1997-1998 en Asie, a nourri l'actuelle : pour se redresser, les pays asiatiques ont dû réorienter leur croissance vers l'exportation. Ils ont en retour reçu des masses considérables de devises qu'ils ont ensuite replacées sur le marché, surtout américain, absorbant sans limites le flux montant des créances fabriquées par le système financier.Passionnant de bout en bout, l'ouvrage offre des pistes de régulation pour éviter la répétition des mêmes erreurs. Malheureusement, Aglietta nous enlève toute illusion : la crise ne s'arrêtera pas au bout de six mois, et sans séquelles? Sophie Gherardi « La Crise. Pouquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? » Entretien avec Michel Aglietta conduit par Pierre-Luc Séguillon. Éditions Michalon (128 pages, 14 euros).
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