L'économie, victime de la bulle immobilière

Ana et Fernando, un jeune couple madrilène, le reconnaît sans ambages : « Nous sommes tombés dans le piège. » Naïvement, ils en conviennent : « Le promoteur nous a convaincus en nous faisant miroiter l'idée que payer 150.000 euros pour un appartement de quatre chambres, proche de la capitale, c'était une aubaine avec ces prix qui montaient en flèche ! » Et Ana et Fernando se sont laissé convaincre : eux qui possédaient déjà un appartement en plein centre de Madrid se sont endettés pour en acheter un autre, en 2004, dans cette cité de Seseña, à une quarantaine de kilomètres au sud de Madrid. Leur idée initiale : le revendre rapidement en empochant une copieuse plus-value. Las ! Le marché immobilier s'est ensuite écroulé, et aujourd'hui, Ana et Fernando ont toujours sur les bras ce qui est devenu une involontaire seconde résidence. Ils viennent la voir de temps en temps, sans se résoudre encore à y apposer la fatidique affichette « Se vende » (À vendre) ou « Se alquila » (À louer).De telles affichettes foisonnent pourtant dans cette cité de Seseña, où se trouve El Quiñon (lire ci-contre). Symbole démesuré des années du boom immobilier (lire ci-dessous), la ville caricature le grand problème actuel de l'économie espagnole, une fois retombée la fièvre de la spéculation : un énorme stock de logements, estimé entre 800.000 et 1,2 million d'unités. Stock que, selon Asprima, la patronale des promoteurs de Madrid, il faudra au moins trois ou quatre ans pour résorber et qui, en outre, continue à croître : si la construction de nouveaux appartements est désormais paralysée, ceux mis en chantier avant la fin de la bulle continuent en effet à débouler sur les marchés. Rien d'étonnant si, dans un tel contexte, les prix ont commencé à baisser pour la première fois depuis 1993 : ceux de l'ancien ont chuté de 8,6 % en termes annuels au troisième trimestre de 2008.La virulence de la chute est à la mesure de l'irrationalité de l'ascension antérieure. À l'époque, voir apposée sur un immeuble de Madrid l'affichette « Se vende » était pratiquement impossible : les transactions se faisaient par la bonne vieille méthode du « bouche-à-oreille ». Le neuf n'avait rien à envier à l'ancien : à la vue seule des plans d'une construction future, on s'engageait à acheter en remettant au promoteur un acompte, bien avant la pose de la première brique. Et le futur appartement changeait de mains, parfois à plusieurs reprises, avant même que sa construction ne soit achevée. Comme le rappelle José García-Montalvo, professeur de l'université Pompeu Fabra de Barcelone, « il suffisait de déposer 5.000 ou 6.000 euros d'arrhes et, pour un appartement de 150.000 euros se réévaluant de 15 % par an, la plus-value annuelle était de 22.500 euros. C'est un effet de levier impressionnant ».double hypothèseL'immobilier était devenu l'investissement à la fois le plus lucratif et le plus sûr, bien davantage qu'une Bourse aux fluctuations de plus en plus imprévisibles. Le pari, toutefois, reposait sur une double hypothèse : des taux d'intérêt au plancher (ce dont les Espagnols ne doutaient pas grâce à l'euro, eux qui avaient encore connu dans les années 1980 des taux proches des 15 %), et les prix de la pierre toujours appelés à croître. Ce qui semblait devoir être le cas : le neuf augmentait de 14,7 % en 2002, de 15,8 % en 2003, de 12,5 % en 2004, de 10,1 % en 2005. Au plus fort du boom, entre 2005 et 2007, l'Espagne a construit 2,212 millions de logements, autant que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, le tout généreusement financé par banques et caisses d'épargne. Quant aux rares Cassandres qui criaient casse-cou, ils prêchaient dans le désert.Jusqu'à ce que la crise des subprimes et l'étranglement du crédit hypothécaire qu'elle allait provoquer, ainsi que la hausse constante des taux et la saturation de l'endettement des ménages (qui représente 130 % de leur revenu disponible), ne renversent la tendance. Aujourd'hui, les multiples affichettes « Se vende » ont refait leur apparition dans le pays. Les experts reconnaissent que résorber le stock accumulé sera ardu. « De la même manière que les ménages attendaient hier une hausse constante des prix, ils tablent désormais sur une baisse, ce qui les amène à retarder leurs décisions d'achats, et ainsi à accélérer encore la chute », observe la spécialiste du marché immobilier d'une grande entité financière de Madrid, qui table sur une baisse supplémentaire des prix immobiliers de l'ordre de 30 %. D'accord avec l'idée, Luis Leirado, directeur général de Tinsa, un cabinet d'expertise immobilière, analyse : « Le problème, c'est que la réactivité du secteur immobilier aux mesures de stimulations du gouvernement est beaucoup moins forte que pour les biens de consommation en général : la reprise du secteur sera donc lente. »Pour sa part, le professeur García-Montalvo estime nécessaire une baisse des prix de quelque 40 % : « Au vu de la situation du revenu disponible des ménages, le réajustement est encore loin d'être terminé. » Face à ce sombre panorama, des voix s'élèvent parmi les associations de promoteurs réclamant des subventions directes et des aides fiscales à l'acquisition de logement. Sans convaincre toutefois le ministère de l'Économie, où l'on observe qu'« une aide à l'acheteur est en fait une aide au vendeur, qui augmente ses prix dans la même proportion que la subvention ». Et comme le remarque un syndicaliste, « il est vrai que tout cela coûtera beaucoup d'emplois, mais pourquoi faudrait-il freiner artificiellement le réajustement des prix d'un bien social comme le logement, si la hausse antérieure n'a été que le fruit de la spéculation et de l'imprévision des promoteurs ? ». n
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