La crise, un bon filon éditorial -

Chez Fayard, la crise a un nom : Jacques Attali. « Nous venons de dépasser les 130.000 exemplaires », claironne Caroline Gutmann, la responsable du service de presse de la maison d'édition de l'ancien conseiller de François Mitterrand. Son dernier essai, « la Crise, et après ? », n'a pas eu besoin du bouche-à-oreille pour se vendre. « Les ventes ont démarré dès sa sortie début décembre », souligne Caroline Gutmann. Valeur sûre de l'édition, habitué des médias, Jacques Attali est réputé pour sa capacité à expliquer simplement des choses compliquées. « Le livre est bien construit, le ton est mesuré, l'auteur retrace didactiquement la genèse de la crise, qu'il avait d'ailleurs prédite très tôt », argumente son éditeur. Fayard n'avait-il pas publié quelques mois plus tôt « la Crise des subprimes », de Paul Jorion, un anthropologue installé au États-Unis, sur les conseils de? Jacques Attali ?Comprendre, tel est le leitmotiv en cette fin d'année. Depuis septembre 2008, le grand public a en effet découvert, abasourdi, qu'il vivait la plus importante crise financière depuis 1929. Si certaines images ont frappé les esprits, comme la file d'attente des clients de la banque britannique Northern Rock ou les déclarations du président Sarkozy se disant prêt à nationaliser si besoin les établissements en difficulté, c'est surtout l'étrangeté du vocabulaire qui suscite le besoin de décodage : « subprime », « titrisation », « CDS », « CDO », « hedge funds ».Le rôle des prescripteurs« À peu près 80 % des clients sont venus en sachant ce qu'ils voulaient acheter, avec une coupure de presse ou après avoir vu l'auteur à la télévision », témoigne S. Juyon, vendeur au rayon économie chez Gibert Jeune, boulevard Saint-Michel, à Paris. Ce rôle des « prescripteurs » est confirmé au Virgin Megastore des Grands Boulevards. Mais le battage médiatique ne suffit pas. La preuve : le livre de Jean-Marie Messier « Le jour où le ciel nous est tombé sur la tête » plafonne autour des 10.000 exemplaires.À l'inverse, la soif d'explication des Français a permis à de nouveaux noms d'émerger. Parmi eux, Matthieu Pigasse et Gilles Finchelstein, qui en février dernier ont publié « le Monde d'après : une crise sans précédent ». « Nous avons dépassé les 16.500 exemplaires, ce qui représente une excellente vente. Pour ce type d'ouvrage, on est déjà satisfait au-dessus des 6.700 exemplaires », se réjouit Muriel Beyer, éditrice chez Plon. Le propos original de ces deux proches de Dominique Strauss-Kahn, respectivement vice-président de la Banque Lazard et délégué général de la Fondation Jean-Jaurès, doit beaucoup au flair de leur éditrice. « J'avais proposé un projet de livre sur la gauche à Mattthieu Pigasse qui a demandé à Gilles Finchelstein de le faire avec lui. Je connaissais bien Gilles et j'en ai été ravie. Avec la crise, le projet s'est transformé. Outre l'analyse didactique de cette crise qui traduit la fin d'une période historique, il y a des propositions concrètes et porteuses d'espoir pour l'avenir », raconte Muriel Beyer. Surtout, l'ouvrage a bénéficié de la présence dans les médias de Matthieu Pigasse, qui crève l'écran.Il y a également deux bonnes surprises. La première se nomme Michel Aglietta. Avec « La crise : pourquoi on en est arrivé là ? Comment en sortir ? » cet universitaire spécialiste des marchés financiers à la réputation internationale a atteint les 9.000 exemplaires. « Le livre a bénéficié d'une excellente couverture par la presse en France mais aussi en Belgique et en Suisse », explique Sophie Mairot, attachée de presse chez Michalon, une petite maison d'édition dynamique. À l'origine, il s'agit d'une commande, pour une collection « 10 + 1 », dirigée par un ancien journaliste de la télé, Pierre-Luc Séguillon, qui fait le tour d'un sujet en dix questions plus une impertinente. Dans le même étiage, il y a Philippe Dessertine, le directeur de l'Institut de haute finance, qui signe des tribunes dans les journaux et fait partie des spécialistes prisés par les médias. Lui aussi fait un parcours remarquable. « Ceci n'est pas une crise : juste la fin du monde » présente la double particularité d'être un pamphlet et d'être édité par une maison qui n'est pas réputée pour publier des livres d'économie, les éditions Anne Carrière. « C'est un libraire de Bordeaux qui nous a recommandé l'auteur. Comme nous sommes une petite équipe, nous nous sommes décidés rapidement pour publier son manuscrit qu'il avait envoyé à d'autres maisons. Philippe Dessertine est brillant, visionnaire et modeste », s'enthousiasme Anne-Sophie Naudin, chargée de la communication. Chez Gibert Jeune, « le Roman vrai de la crise financière » (Perrin), de l'économiste Olivier Pastré et du journaliste Jean-Marc Sylvestre, se taille un franc succès. Sorti en mai 2008, couronné du prix Turgot du meilleur livre d'économie 2008, il a été réédité au format poche dans une version réactualisée. Au Virgin Megastore, on souligne aussi la bonne tenue de « Krach, boom? et demain ? » de l'économiste Marc Touati, et le retour sur les présentoirs de classiques comme « la Crise économique de 1929 : anatomie d'une catastrophe financière », de John Kenneth Galbraith.La crise devrait aussi favoriser la vente des ouvrages critiques, car elle a montré le gouffre qui sépare l'état d'esprit du monde de la finance du reste de la société. Dans ce registre, un petit ouvrage de 200 pages tranche, « Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières », de Frédéric Lordon. Publié en septembre par la maison Raison d'Agir, il s'est vendu à quelque 13.000 exemplaires. Il détonne par son propos sans compromis, son style conceptuel précis et incisif qui exhibe les arcanes de la finance et la légèreté de ses discours justificateurs. « Je travaille depuis 1994 sur l'instabilité des marchés financiers », rappelle ce directeur de recherche au CNRS. Ces ventes ne résultent pourtant pas d'une grande médiatisation : « J'ai refusé 95 % des interviews, en fait toutes celles qui ne proposent que des formats rendant impossible de développer un point de vue tant soit peu élabor頻, explique Frédéric Lordon, qui a pu toutefois longuement s'exprimer dans « Le Monde diplomatique » ou encore sur France Inter dans l'émission de Daniel Mermet. Infatigable, Frédéric Lordon s'apprête à publier un nouveau livre sur la crise financière chez? Fayard.La Théorie de la valeurLa mouvance altermondialiste profite-t-elle aussi de la crise pour populariser son analyse ? A priori, son credo gagne en crédibilité. « Plusieurs économistes me disent que la crise des subprimes montre la validité de la théorie de la valeur de Marx », constate Philippe Pignarre, éditeur à La Découverte, qui a confié le soin à l'économiste Isaac Johsua de fournir une analyse marxiste avec « la Grande Crise du XXIe siècle ». L'auteur est membre du conseil scientifique d'Attac, proche du NPA d'Olivier Besancenot, mais aussi spécialiste de la crise de 1929. « Nous voulions un ouvrage de référence, pas cher, il coûte 10 euros, pour toucher un public jeune », explique Philippe Pignarre. La première mise en place est modeste, 1.700 exemplaires, mais en une semaine les libraires en ont redemandé 250. Ce n'est qu'un début?
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