Ces enfants de l'immigration qui choisissent le " retour au pays "

Uc Ha Duong a enfin réalisé son rêve. À 33 ans, il vient de monter sa boîte au Vietnam, le pays d'origine de ses parents. Si ce n'est son nom, M. Ha Duong n'a pourtant pas grand-chose de vietnamien. Né à Paris dans le XIVe arrondissement, le jeune Duc a fait toute sa scolarité en banlieue : maths sup, maths spé, avant d'intégrer l'École centrale de Paris. " J'ai toujours eu envie de découvrir le pays de mes parents, d'apprendre cette langue que je ne connaissais pas, et surtout de permettre à mes enfants de s'imprégner d'une culture que je ne saurais leur transmettre. " Après avoir passé sept années à exercer ses talents d'ingénieur chez Sita, puis chez France Télécom, Duc Ha Duong fait le grand saut. En 2005, il crée à Hô Chi Minh-Ville, l'ancienne Saigon, Officience, une société spécialisée dans l'externalisation. " J'ai profité d'une conjoncture économique très favorable pour tout ce qui concerne l'offshoring, explique-t-il. Mes clients sont des sociétés françaises, ce qui me permet de garder un lien avec mon pays. "Duc Ha Duong fait partie de ces Français nés de parents immigrés, qui ont décidé à un moment de leur vie professionnelle d'exporter leur savoir-faire en s'installant dans ce qu'ils appellent, pour la plupart, " leur pays d'origine ". Vietnam, Madagascar, Maroc, Algérie, Tunisie mais aussi Sénégal et Côte d'Ivoire, tous les pays de l'ancien Empire français - et toutes les communautés immigrées en France - sont concernés par ce nouveau phénomène. " Depuis quelque temps, nous sommes de plus en plus sollicités par des Français nés en France de parents immigrés, qui souhaitent s'installer dans le pays d'origine de leurs parents, confirme Jean-Michel Feffer, porte-parole de la Maison des Français de l'étranger. Ceci est surtout vrai pour le Vietnam et le Maroc. " Même s'il est pour l'instant impossible de recueillir des données chiffrées sur le sujet, une chose est sûre : ces nouveaux pionniers se comptent aujourd'hui par milliers, alors qu'ils étaient moins d'une centaine à tenter l'aventure il a encore quelques années." Je reçois tous les jours en provenance de France au moins trois ou quatre CV écrits par des enfants d'immigrés qui veulent s'installer ici ", témoigne Jamal Belarach, patron de Manpower Maroc, qui a lui-même grandi à Dreux. Le Maghreb, et en particulier le Maroc, sont les plus concernés par cette nouvelle forme d'expatriation. Nawal El Kahlaoui, 35 ans, née à Mantes-la-Jolie, dirige une société de marketing à Casablanca. Mohamed Djama, né à Forbach il y a 46 ans, vient de lancer son usine à Bejaïa, en Algérie. Hassan Bezzazi, jeune Ardéchois de 29 ans, organise des randonnées VTT dans les montagnes de l'Atlas. Redouan M'Faddel, né à Dreux en 1970, dirige avec son frère le groupe Yasmine, acteur important de l'immobilier marocain. Le Marseillais Bohrane Abassi a fondé une société d'informatique à Tunis. Abdrahman El Kafil, né en Belgique, a créé une société de logiciels libres à Casablanca. Les exemples de réussites d'enfants d'immigrés devenus entrepreneurs dans la patrie de leurs parents ne manquent pas.Certains d'entre eux n'ont pas vraiment eu le choix. Première pourvoyeuse de travailleurs émigrés vers la France durant les trente glorieuses, l'Algérie ne cherche pas à faire revenir les enfants de ses immigrés pour développer ses entreprises. " Elle n'a pas encore dépassé l'ère du capitalisme familial, où le recrutement fonctionne par piston, regrette Fetah Ouzzani, président de Reage, le Réseau des Algériens diplômés des grandes écoles. Alors qu'au Maroc, cela fait déjà dix ans que l'économie est passée aux mains des meilleurs diplômés. Il existe dans ce pays une véritable stratégie pour attirer les enfants d'immigrés dotés d'un parcours d'excellence. " D'où une très forte proportion d'entrepreneurs parmi les jeunes diplômés français d'origine algérienne qui choisissent d'émigrer dans le pays d'origine de leur famille. " Nous avons de nombreux investisseurs venus de l'immigration algérienne en France ", affirme Salim Branki, responsable de l'Agence nationale de développement de l'investissement (Andi) d'Annaba. En 2001, sur le modèle de ses voisins tunisiens et marocains, l'Algérie a lancé une série de mesures destinées à favoriser les investissements étrangers : exonération d'impôts sur les premières années d'exercice, allégement des charges patronales, suppression des taxes douanières, etc. Seul bémol au tableau : l'environnement, mélange de terrorisme larvé et de conservatisme des moeurs bien plus pesant qu'au Maroc ou en Tunisie." D'ALGERIE, JE PEUX LIVRER EN UNE SEMAINE "Cependant, avec un taux de croissance de 3,4 % en 2007 (et plus de 5 % prévu en 2008), et de fortes liquidités accumulées grâce aux recettes pétrolières, l'Algérie reste un territoire très attractif pour des entrepreneurs courageux. Mohamed Djama est l'un d'entre eux. Ce fils de mineur kabyle vient de lancer sa première chaîne de montage pour la fabrication de consommables médicaux à Bejaïa, la ville d'origine de son père. " C'est une production qui n'existe plus en Europe, explique cet ingénieur des arts et métiers, auteur de plusieurs manuels d'informatique. Tout a été délocalisé en Asie. Mais cela signifie cinq semaines de transport. Moi, d'Algérie, je peux livrer en une semaine. " En arrivant à Bejaïa, M. Djama s'est adressé à l'Andi, qui lui a permis d'obtenir quelques avantages, notamment lors de l'importation de ses machines (exonération de TVA et suppression partielle des droits de douanes). " Cela est appréciable. Mais par contre, quelle galère pour venir à bout de toutes les formalités administratives ! En tout, cela m'a bien pris quatre ans, contre un an et demi pour un projet équivalent en France. En Algérie, lorsqu'une grosse société étrangère veut s'installer, elle a l'appui du gouvernement qui fait en sorte que toutes les portes s'ouvrent et que les délais administratifs soient raisonnables. Lorsqu'il s'agit d'un petit investisseur comme moi, c'est beaucoup plus difficile... "À l'inverse, le Maroc apparaît comme un véritable eldorado. L'offshoring, secteur en pleine expansion, draine une bonne partie de ces enfants de l'immigration. Brahim Belahmr illustre à merveille le phénomène. À 36 ans, ce diplômé de l'ESCP, issu d'une famille de paysans du sud marocain, est en train d'écrire une des plus belle success story du royaume chérifien. D'ici la fin de l'année, il va emménager dans 1.800 m2 de bureaux qu'il a fait construire à Sidi Maarouf, le quartier de Casablanca en passe de devenir la capitale de l'offshoring : Capgemini, Atos, Accenture, BNP Parisbas y ont déjà leurs bureaux réservés, employant des centaines d'ingénieurs et de développeurs. Bram's Technologie, la société créée par M. Belahmr, emploie " seulement " 80 personnes, dont 70 % d'ingénieurs... " Fin 2000, lorsque j'ai commencé, un ingénieur sorti de Mohammadia [la n°1 des grandes écoles marocaines, Ndlr] se recrutait à 7.000 dirhams (700 euros). Mais aujourd'hui, avec le boom de l'offshoring, ces diplômés savent qu'ils sont recherchés, et leurs salaires ont doublé. " Qu'à cela ne tienne ! Tout en consolidant la croissance de sa société marocaine, Brahim Belahmr est en train de mettre sur pied une filiale à Alger." Là-bas, explique le jeune entrepreneur, les ingénieurs ne sont pas encore aussi recherchés qu'au Maroc. Leurs exigences de salaire restent raisonnables. " Pendant des décennies, le père de M. Belahmr a tenu une épicerie en bas de la rue Lepic, à Paris. " Une vraie épicerie arabe, ouverte de midi à six heures du matin ! " précise-t-il. C'est son père qui l'a aidé à démarrer en 2000 en lui prêtant 10.000 euros. Il embauche d'abord deux personnes, puis dix, puis trente... Il y a un an, " presque inquiet " de la croissance vertigineuse de son entreprise, il recherche un directeur général. Et trouve Jamal Benhamou, un Franco-Marocain né à Neuilly. " On est pareil, on se comprend sur tout, se justifie Brahim Belahmr. Avec les Marocains, ce n'est pas tout à fait la même chose... "CIRCULATION DANS LES DEUX SENSVéritable pied de nez à l'immigration choisie prônée par Nicolas Sarkozy, cet engouement pour le retour au pays de Français en mal de racines n'en est sans doute qu'à ses débuts. Car la demande est forte. " Les sociétés installées au Maghreb sont à la recherche de cadres formés en Europe et en même temps capables de comprendre la culture du pays ", constate par exemple Paul Mercier, responsable de la zone Afrique dans le cabinet de recrutement Michael Page. En France, le ministère de l'Immigration garde un silence complet sur le phénomène. Au Maroc, par contre, le ministre chargé des Marocains résidants à l'étranger (MRE), Mohammed Ameur, a du mal à cacher son plaisir devant cette " fuite des cerveaux " en sens inverse : " Longtemps, c'est nous qui étions les perdants. Aujourd'hui, la circulation des élites se fait dans les deux sens ". Mais surtout, pour M. Ameur, " ces binationaux peuvent constituer le substrat pour une union régionale ".Un avis partagé par Jean-Louis Guigou, un des tout premiers conseillers de Nicolas Sarkozy sur le projet de l'Union pour la Méditerranée (UPM) : " Ces enfants d'immigrés installés au Maghreb constituent un vivier magnifique dans lequel il convient de recruter les futurs cadres de l'UPM ", affirme, enthousiaste, le fondateur de l'Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), un think tank privé soutenu par plusieurs grands noms de l'économie française. " Plus largement, conclut Jamal Belahrach, les Français ont toujours pensé que leurs immigrés constituaient un fardeau pour leur pays. Aujourd'hui, avec ce réseau d'entrepreneurs et de cadres répartis à travers le monde, ils vont enfin peut-être se rendre compte de la richesse que nous représentons pour la France. "
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