L'ours et la maladie hollandaise

Un ours édenté fait moins peur que s'il aligne des crocs étincelants. En août dernier, le monde s'inquiétait du retour d'une Russie qui montrait les dents en Géorgie, signalant qu'elle surveillait à nouveau ses banlieues séditieuses. C'était il y a dix semaines. Autant dire un siècle. Depuis, la crise financière est allée de l'Atlantique à l'Oural et s'est abattue sur la Russie avec violence, provoquant interruptions de la Bourse, faillites de banques et chute de la croissance. Les oligarques eux-mêmes, qui se sont partagé les prébendes avec la complicité du pouvoir politique, ont dû interrompre leur bruyant festin. Ce n'est pas la crise qui est imputable au clan Poutine, mais sa gravité. Elle révèle que la Russie a attrapé ce que les économistes appellent la " maladie hollandaise " : lorsqu'un pays profite d'une rente provenant des matières premières, il a tendance à la gaspiller et à différer les réformes nécessaires, comme l'ont fait l'Argentine, les pays du Golfe et les Pays-Bas des années 60. En termes plus prosaïques, la richesse trouvée est moins profitable que la richesse créée, à cause de la pente naturelle qui nous fait souscrire à une loi universelle, celle du moindre effort. L'extraordinaire envolée des cours du pétrole et des matières premières, dont la Russie est le premier producteur mondial, a ainsi été un cadeau empoisonné. Elle a considérablement amplifié le redressement de l'économie nationale et celui des finances publiques. Elle a gonflé les réserves de change - qui approchaient 600 milliards de dollars avant le retournement - et l'orgueil national. Voire l'arrogance d'un pouvoir qui cherchait à laver les humiliations consécutives à l'effondrement de l'URSS. Avec des cours pétroliers divisés par deux, la Russie va retrouver la pesanteur. Et les handicaps que la manne avait atténués : un système bancaire inefficient, un cadre législatif et réglementaire imprévisible, des inégalités abyssales.La forte popularité de Vladimir Poutine pourrait aussi connaître quelques hoquets, car elle est, comme toutes les affaires nationales, indexée sur les montagnes russes dessinées par le cours du baril. Quant à la politique extérieure, nul doute qu'elle ne soit infléchie. Le prochain sommet entre l'Europe et la Russie, prévu pour le 15 novembre à Nice, devrait se dérouler dans une atmosphère plus amène que lors des échauffourées de l'été dernier. Ce sont les risques du métier, quand on pratiquela diplomatie de l'or noir.
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