Une affaire de fraude fiscale secoue le marché du CO2

Chez Bluenext, ils ont eu très peur. C'est normal, les montants sont énormes », assure un expert du marché français du CO2. La fraude à la TVA, qui s'est développée jusqu'au 4 juin sur le marché « spot » ou physique du CO2, a visiblement bien profité aux escrocs et pourrait coûter cher à l'État. Pour y mettre fin, ce dernier a, dans la précipitation et après avoir fermé le marché deux jours durant, publié le 10 juin une circulaire supprimant l'impôt bafoué. Reconnaissant de facto la fraude, même si la suppression de la taxe fait débat. Bercy a en effet modifié le statut juridique des quotas de CO2, devenus instruments financiers et non plus biens meubles incorporels. Depuis la réouverture du jeune marché spot du CO2 (il est né le 27 décembre 2007), les volumes négociés sont ridicules au regard des échanges précédant l'interruption des cotations sur Bluenext. Ce qui valide l'idée d'une explosion artificielle des volumes depuis cet hiver (voir encadré). Le nombre de contrats négociés est retombé à 2 ou 3 millions de tonnes par jour, sans commune mesure avec le pic de 20 millions de tonnes du 2 juin dernier et avec les niveaux régulièrement supérieurs à 10 millions de tonnes sur ces trois derniers mois.Les fondamentaux expliquaient difficilement la frénésie passée. « Il y a eu des anomalies, des volumes qu'on avait du mal à comprendre », reconnaît Sylvain Goupille, analyste sur le CO2 chez BNP Paribas. D'ordinaire, le marché physique d'une matière première ne représente qu'une fraction des volumes du marché à terme, environ 20 % : le physique n'est qu'une variable d'ajustement. Or, sur le CO2, « les volumes des échanges physiques étaient équivalents aux marchés de ?futures? » explique Sylvain Goupille. Certes, un effet « cash » a aussi encouragé les entreprises à vendre leurs quotas : le ralentissement économique en rendait une partie inutile. ArcelorMittal, un des plus gros acteurs du CO2 en Europe, s'est retrouvé dès le mois de septembre avec un niveau de quotas supérieur à ses besoins. Soit 20,8 millions de tonnes de CO2 à vendre sur le marché, pour une valeur d'environ 260 millions d'euros. Il avait alors tout intérêt à les vendre pour récupérer de l'argent. Mais ce phénomène aurait dû rester circonscrit à certains industriels. Au contraire, les volumes moyens constatés sur le marché physique du CO2 de Bluenext entre la mi-octobre 2008 et le 3 juin dernier sont à peu près « deux fois plus importants qu'ils auraient dû l'être dans le meilleur des cas », assure un spécialiste, qui estime que la fraude pourrait porter sur plusieurs centaines de millions d'euros. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris, et confiée aux douaniers. Mais « les premiers résultats ne devraient pas être connus avant six mois » prévient une source au parquet.Chez Bluenext, la filiale de Nyse Euronext qui s'enorgueillissait il y a peu du succès de son marché, l'heure est à la discrétion. Après avoir assuré que la fermeture des échanges durant deux jours n'avait aucun rapport avec les rumeurs de fraude, la place de marché attribue la singulière baisse des volumes constatée depuis le 9 juin aux interrogations des intervenants. « Le débat porte sur le traitement fiscal, une question qui peut se résoudre a posteriori, cela ne nous empêche pas d'intervenir normalement sur le march頻, répond un industriel. Si les échanges reviennent à la normale sur le marché, l'enquête fait face à de nombreux mystères. Pourquoi les fraudeurs se sont-ils multipliés précisément en France, où un nombre très important de comptes a été ouvert en 2009, alors que la fraude à la TVA peut potentiellement avoir lieu dans n'importe quel pays ? La suppression de la taxe pose aussi un problème de distorsion de concurrence en Europe : il devient plus avantageux pour les industriels de toute l'Union concernés par les quotas, soit 11.000 sites industriels, de passer par des courtiers français pour intervenir sur le marché, afin d'éviter la TVA dans leur pays d'origine. L'épisode pose enfin une vraie question de régulation. Dans toute l'Europe, il suffit d'une carte d'identité pour ouvrir un compte sur les registres nationaux du CO2. Une barrière étonnamment fragile, si l'on considère que seules les entreprises sont censées intervenir sur le marché des quotas.
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