Encore un effort, nationalisons vraiment les banques

Dans le maelström d'une crise de liquidité , il est indispensable d'injecter massivement des liquidités sur les marchés monétaires et de baisser les taux ; les banques centrales l'ont fait, plus ou moins vite et fort. De même, il est nécessaire de nationaliser les banques en faillite et de garantir les dépôts bancaires afin d'éviter le run des particuliers aux guichets des banques criant " I want my money back ". Si cela a permis d'éviter l'effondrement du système, c'est insuffisant pour sortir de la crise. Racheter les créances " pourries " des banques avec le plan Paulson pouvait sembler une issue. Non seulement cela pose de sérieux problèmes (à quel prix ? N'est-ce pas un cadeau aux banques ? Le lobbying et les conflits d'intérêts sont omniprésents...), mais, à l'évidence, cela n'a pas suffi.Aujourd'hui, à la suite de Gordon Brown, les gouvernements européens se sont décidés à deux mesures complémentaires : recapitaliser par des fonds publics les banques en difficulté qui en font la demande et assurer les prêts interbancaires (si l'Allemagne a garanti ces prêts, la France a préféré l'ouverture d'un guichet public). Les États-Unis viennent de prendre à leur compte une partie de ce plan en recapitalisant les grandes banques sur la base du volontariat (250 milliards de dollars pris sur les 700 du plan Paulson).Ce plan de sauvetage identifie les points cruciaux sur lesquels agir prioritairement. Le problème d'une crise de liquidité est un problème de crainte interactive et d'échec de la coordination. Personne ne prête à personne et, en particulier, les banques ne se prêtent pas entre elles du fait d'un jeu de miroirs voisin de celui analysé par Keynes sous la forme célèbre du concours de beauté. Les banques ne se prêtent pas entre elles parce qu'elles n'ont pas confiance dans la solvabilité des autres banques mais aussi parce qu'elles préfèrent conserver leurs liquidités sachant que les autres banques, n'ayant pas confiance en elles, ne leur prêteront pas demain. Enfin, la banque A ne prête pas à la banque B parce qu'elle croit que les autres (les banques C, D...) la croient insolvable et donc ne lui prêteront pas et que B sera alors en difficulté.Défiance généralisée.Une économie de défiance généralisée se constitue alors et cet état se maintient tant qu'un choc puissant ne vient pas briser les miroirs. Or, si recapitaliser les banques par des fonds publics, assurer les prêts interbancaires et approvisionner le marché en liquidité à taux fixe sans limites vont dans le bon sens, ce n'est pas suffisant. Ces mesures ne rétablissent pas la confiance entre banques, mais dans l'État assureur et l'on peut craindre un retour du " risque moral " à un autre niveau.Risque de thésaurisation.La réussite des plans de sauvetage supposerait que les banques ne cachent pas leurs difficultés afin d'éviter de perdre leur crédibilité (elles peuvent d'ailleurs refuser une nécessaire recapitalisation publique en comptant sur les prêts de ou assurés par l'État). Les demandes de financement à court terme auprès des banques centrales ou à moyen terme au guichet de l'État risquent d'être stratégiquement disproportionnées et destinées à la thésaurisation. Les banques stockent des liquidités, mais ne les font pas circuler : malgré les contrôles envisagés (fort difficiles), les crédits risquent de ne jamais arriver aux entreprises et aux particuliers. Plus généralement, une telle assurance par l'État, assortie de " nationalisations " doublement partielles (l'État apporte ses capitaux, mais ne prend pas le contrôle, il ne détient même pas des actions avec droit de vote ; seules les banques qui le demandent sont recapitalisées), est stratégiquement manipulable avec des risques financiers pour l'État et pour l'économie. On passe à côté de la solution en bouchant une voie d'eau alors que toutes les conduites ont explosé.Partant de ces observations, une solution s'impose à un nombre croissant d'économistes : la prise de contrôle par l'État du secteur bancaire dans son ensemble ou du moins des principales banques afin de les amener à s'entre-prêter et à prêter aux particuliers et aux entreprises. Ce dernier point est essentiel car il faut à tout prix bloquer la contagion (rapide) à l'économie réelle. Il ne sera pas nécessaire de faire pression sur les banques pour qu'elles se prêtent puisque, à l'instant de la nationalisation, chacune prêtera à toutes, sachant que les autres font confiance à chacune. L'État pourra lui-même contrôler la situation réelle de ses banques et ouvrir les prêts aux besoins de financement des acteurs économiques. Et il faut aller vite car demain, comme lors des grandes crises précédentes, c'est l'économie réelle effondrée qui asséchera les demandes de crédit ! Naturellement, il serait souhaitable que cette nationalisation s'étende rapidement aux pays affectés par la crise. La France, qui a pratiqué ce système il n'y a pas si longtemps, et où il n'a pas si mal fonctionné (à l'aune de ce qui se passe aujourd'hui), devrait montrer l'exemple, mais l'urgence et le pragmatisme pourraient donner à nouveau à l'Angleterre le rôle de premier de cordée.Une bonne opération.Les modalités de cette nationalisation peuvent différer. L'objectif n'est pas de fonctionnariser les banques mais d'en prendre le contrôle (la majorité du capital ou seulement une minorité de contrôle). Le coût pour les finances publiques correspond à un investissement rentable. Enfin, l'opinion publique n'aura pas l'impression funeste que l'on sauve sans compter les financiers coupables. Cette appropriation publique sera temporaire ; les banques seront privatisées ultérieurement, sans d'ailleurs qu'il soit nécessaire de se presser (il faudra attendre un rééquilibrage en profondeur, et elles le seront au cas par cas). Et les contribuables auront réalisé une bonne opération.Lors de la crise des années 1990, le Japon a dû finalement se résoudre à la nationalisation du système bancaire, mais au cas par cas, perdant l'avantage principal d'une opération globale (d'où la durée de la crise). La Suède, face à une crise financière majeure, a préféré un big-bang et s'en est mieux sortie. Dans cette guerre à la crise, ne laissons pas l'idéologie nous aveugler. Les gouvernements ne doivent pas se contenter de réagir avec, toujours, un temps de retard sur la crise, ils doivent prendre l'initiative avec audace.
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