L'épargne longue, une espèce en voie de disparition  ?

La préservation des intérêts des générations futures est une cause qui devrait faire l'objet d'un vaste consensus dans un pays qui se dit préoccupé par les enjeux de long terme. Il faut veiller à laisser à nos enfants un air pur, il faut aussi leur laisser un stock de capital.L'idée d'une épargne française abondante et quasiment excédentaire, comme un vaste stock dans lequel les ménages et l'État pourraient puiser indéfiniment, est un mythe qui ne résiste pas longtemps à l'analyse. Tout d'abord, l'épargne française n'est pas une corne d'abondance dans laquelle les ménages et l'État pourraient puiser indéfiniment. Au cours du dernier cycle, le credo a été : s'endetter, endetter ses voisins, endetter ses enfants. Résultat : la dette des ménages a explosé (bulle immobilière oblige), la dette des entreprises aussi (le taux d'autofinancement est au plus bas), et il n'y a plus de pilote dans l'avion de la dette de l'État (autour de 90 % du PIB en 2012).Ensuite, il existe un outil pour déterminer le taux d'épargne optimal. En 1961, Edmund Phelps a montré qu'il existe un taux d'épargne national qui permet un niveau identique de bien-être pour toutes les générations. Ce taux d'épargne, dit de la « règle d'or », qui permet l'efficience économique et l'équité intergénérationnelle, est estimé aujourd'hui en France aux environs de 26 %, contre un taux observé de 17 %. Il faut donc impérativement réduire fortement la désépargne publique et il conviendrait d'encourager et non de décourager le mouvement de reconstitution de l'épargne privée.Non seulement l'épargne française est parfaitement insuffisante, mais elle est bien trop courte. Ceci est un fait typique de notre modèle français qui reste celui du « capitalisme sans capital », lointain héritage des nationalisations, des noyaux durs et des participations croisées. Au final, les Français détiennent très peu d'actions. Or, on l'oublie souvent, une action est un titre de propriété, c'est l'épargne la plus longue que l'on puisse envisager. Si en plus les pouvoirs publics désépargnent massivement et inventent des normes comptables outrageusement défavorables aux actions et à ceux qui portent cette forme d'épargne, où va-t-on ?Le problème de Solvabilité II pour les activités d'assurances de long terme, dont la retraite, réside dans la pondération du risque de marché : celle-ci est pratiquement la même, que l'on détienne des actifs à court terme ou à long terme. Le passage à une comptabilité nouvelle, qui privilégie la valorisation instantanée des actifs d'une part et, d'autre part, le calcul de la solvabilité sur la base d'une « value at risk » à 1 an (VaR, mesure du risque de marché d'un portefeuille d'actifs financiers) ne sont pas compatibles avec des engagements de long terme. L'introduction d'une mesure d'atténuation (accord européen du 26 mars), qui diminuerait les chargements en capital en cas de crises majeures n'est qu'une réponse partielle à ces problèmes et ne modifie pas le principe même du calcul.La nouvelle directive Solvabilité II repose sur la transposition à l'assurance des paradigmes de Bâle II conçus pour les opérations de marché des banques. On voit mal la rationalité de cet horizon dans notre métier : nos passifs sont beaucoup plus longs. Le risque des actions s'en trouve fortement surestimé. De plus, la méthode de calcul préconisée n'est pas adaptée à l'objectif de sécurité de l'épargnant car elle suppose que les risques sont normalement distribués et linéairement corrélés. Les possibilités de diversification vont se réduire comme peau de chagrin : les couvertures optionnelles de changes, les produits structurés et la poche de gestion alternative vont se voir appliquer des stress considérables. C'est l'application à l'épargne du principe de précaution dans sa version la plus extrême, la plus adverse à l'investissement et l'esprit d'entreprise.C'est aussi une protection très partielle de l'épargnant : peu de volatilité, certes, mais? très peu de rendement. Or, notre mission consiste à maximiser le couple rendement/risque pour l'épargnant, en fonction de ses préférences : elle ne consiste pas à promouvoir une vision hémiplégique, faussement sécuritaire de l'épargne. Ajoutons que cette nouvelle pénalisation des actions arrive au moment où elles ne sont pas chères, comme pour parachever jusqu'à la caricature le caractère procyclique de l'édifice.Pour retrouver le sens de l'épargne longue, il faudrait donc :1. Améliorer Solvabilité II. La VaR à un an appliquée à l'assurance est une méthode grossièrement inadaptée. C'est la prise en compte de la durée des engagements qui devrait être l'élément déterminant du calcul de la marge de solvabilité requise.2. Améliorer les normes comptables. Les normes IFRS doivent reconnaître les assureurs comme des investisseurs long terme. Or l'évolution concoctée actuellement par l'IAS Board (le projet d'établir deux catégories d'actifs) est un pas de plus dans la mauvaise direction. D'une part, les marchés ne donnent pas à tout instant aux actifs financiers un prix et une liquidité qui permettent des transactions régulières et crédibles. D'autre part, il serait temps que les régulateurs intègrent la réalité économique suivant laquelle on ne peut évaluer un actif sans connaître le passif auquel il fait face. Nous plaidons pour la création d'une poche pour les actions qui pourraient être portées à leur coût historique pour autant que les passifs qu'elles couvrent aient une durée suffisante.3. Améliorer les règles de l'assurance-vie. Actuellement, l'épargne à objectif long est de fait investie sur un horizon de court/moyen terme, compte tenu de contraintes de passif fortes (nombreuses possibilités de déblocages anticipés). D'où la nécessité d'introduire une nouvelle échéance de la fiscalité de l'assurance-vie qui permettrait une plus grande exposition aux actions et donc un véritable financement long de la croissance. Nous proposons que l'imposition sur les plus-values soit abaissée de 7,5 % à 0 % au bout de 12 ans pour l'assurance-vie, de façon à rallonger la durée des passifs des assureurs et à leur permettre ainsi d'augmenter la proportion d'actions dans leurs portefeuilles. npoint de vue Éric lombard PDG de BNP Paribas Assurance
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