Faut-il politiser

Thierry CHOPINOUIC'est le moyen de redonner de la légitimité politique à l'Union.Si, à ses débuts, la construction européenne laissait peu de place au débat public, les sujets sur lesquels l'Union intervient sont, depuis le traité de Maastricht, de plus en plus politiques. Et l'Union ayant intégré, au fur et à mesure de son élargissement, des cultures politiques les plus diverses, elle ne peut plus se contenter, sur de nombreux sujets, de compromis techniques. À la fois son approfondissement et son élargissement ont donc changé sa nature, ce qui doit l'amener à changer son mode de fonctionnement et bâtir de nouvelles synthèses politiques. C'est urgent, car le décalage croissant entre son évolution et l'absence de fonctionnement politique au sein de ses institutions a fini par générer chez elle un déficit de légitimité, et reléguer au second plan ses apports aux yeux de beaucoup de ses citoyens. Les « non » au référendum français de 2005, comme au référendum irlandais de juin 2008, indiquent que les bénéfices objectifs de l'appartenance à l'Europe ne suffisent plus à y faire adhérer ses habitants. L'Union doit donc justifier politiquement ce qu'elle fait afin de convaincre. Alors, comment la politiser ? D'abord en faisant apparaître par des débats publics le clivage gauche droite qui existe bel et bien au Parlement européen, et ce de plus en plus, mais qui est invisible pour ses citoyens qui ne voient que les compromis noués entre partis. En ce sens, on pourrait dire que l'Union est une « démocratie impolitique » pour reprendre l'expression de Pierre Rosanvallon, c'est-à-dire une démocratie qui ne parvient pas à faire vivre les débats entre les diverses sensibilités politiques. C'est aux partis politiques de les mettre en avant pour les porter devant les opinions publiques, avant de voter les lois au Parlement. Mais politiser, c'est aussi poser publiquement les choix de société de l'Union pour les années à venir : par exemple, l'élargissement de l'Union ne doit plus être abordé sous le seul angle des critères techniques, car il pose à l'évidence des questions politiques majeures pour toute l'Europe. Politiser, c'est donc clarifier pour tous la raison d'être d'un projet, c'est donner du sens à l'Union. Alors que la génération des leaders européens n'a pas vécu la Seconde Guerre mondiale, et que la paix fait pour l'essentiel partie des acquis, il faut trouver un nouveau sens à l'Union. Après l'avoir construit dans l'introversion, il faut lui donner une identité externe pour qu'elle acquiert une véritable influence à l'échelle mondiale. nAlors que 370 millions de citoyens européens sont appelés à élire leurs députés au Parlement de Strasbourg, le 7 juin, leur désintérêt pour ce scrutin semble avoir pris une ampleur sans précédent. Comme s'ils considéraient que les institutions européennes ne pouvaient être un espace politique de débat démocratique. Alors que l'on ne cesse de renforcer les pouvoirs du Parlement européen, tout se passe comme si la sphère publique européenne ne parvenait toujours pas à émerger. Dès lors, chacun s'interroge : faut-il, et peut-on, politiser le Parlement européen, cette enceinte par excellence démocratique de l'Union, pour que les citoyens s'y reconnaissent, ou faut-il le laisser à des débats de nature technique ? Propos recueillis parvalérie SegondNONJean-Louis BOURLANGESLe Parlement fait partie d'un système politique complexe dans lequel la Commission propose et exécute, le Conseil des ministres décide à la majorité qualifiée, le Parlement codécide en matière législative, la Cour de justice dit le droit, et la Banque centrale à Francfort gère la monnaie. Or, contrairement à ce que les gens pensent, ce système est très démocratique. Le problème est ailleurs : les compétences de l'Europe ne sont que marginalement politiques. Si l'on excepte l'agriculture qui n'intéresse qu'une fraction limitée de la population européenne, et le commerce international dont les enjeux sont trop complexes pour être véritablement politisés, les compétences qui relèvent du système communautaire sont pour l'essentiel techniques. La concurrence et le marché unique relèvent d'un traitement juridictionnel. Et, si les normes de protection des consommateurs et les questions environnementales sont en partie politiques, il faut bien reconnaître qu'elles sont surtout techniques. Quant à la gestion de la monnaie commune, elle est en toute logique de la compétence exclusive de la Banque centrale européenne. Comment, dans ces conditions, vendre aux électeurs l'idée que leur vote au Parlement aura une signification politique majeure ? La vérité est que, dans l'état actuel des institutions, l'essentiel des questions qui relèvent de la Commission, du Conseil et du Parlement sont impropres à soulever les passions politiques. Il en serait tout autrement si le système communautaire était vraiment compétent sur la politique budgétaire, la politique fiscale, la politique militaire et la politique étrangère. Tel n'est pas le cas. Ces questions relèvent d'une simple coopération entre États souverains sur laquelle le Parlement n'a aucune prise. Sur toutes ces questions, conformément à ce qu'ont toujours voulu les souverainistes, on en est resté à l'Europe du congrès du Vienne : des décisions prises à l'unanimité entre des gouvernements hostiles à toute supranationalité. En clair, la politisation ne peut être dans ces conditions qu'un tour de passe-passe. Aujourd'hui, pour l'essentiel, ce qui est politique n'est pas communautarisé, et ce qui est communautaire n'est pas de nature politique. Contrairement à ce que pensent les pro et les antieuropéens, les grandes décisions politiques conservent un caractère strictement national. nCe qui est politique n'est pas communautaire, et réciproquement.
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