Faire la course par temps instable

La météo économique et géopolitique sera de plus en plus comme une journée d'été en montagne : ensoleillée, elle pourra virer soudainement à l'orage. Quand la bourrasque emporte des tyrans, on peut s'en réjouir - quoique la foudre tarde à tomber sur le Caligula libyen - mais dans l'ensemble, soyons clairs : à la crise va succéder l'instabilité durable, avec des perturbations plus fréquentes et plus intenses, que les couplages entre différents pans de l'économie et régions du monde amplifieront. Un véritable défi pour les décideurs.Les faits d'abord. L'embellie du climat des affaires partout dans le monde est incontestable : l'activité se consolide, les marchés actions américain et britannique ont refait 75 % du chemin perdu, les primes de risque sur les junk bonds sont à peine supérieures à celles de 2007, les fusions-acquisitions et les profits des grandes entreprises retrouvent leur niveau d'avant-crise - les bonus aussi d'ailleurs. Mais comme chacun sait, cette reprise a été obtenue au prix de stimuli monétaires et budgétaires colossaux, laissant une ardoise impressionnante. Passons sur les déséquilibres de change, la crise de la dette souveraine, toujours latente, ou la régulation financière, embourbée dans de multiples problèmes. Oubliée depuis vingt ans, voilà l'inflation de retour, accompagnée d'une probable hausse des taux, avec des effets inconnus sur les marchés. Les économies émergentes pourraient aussi donner du souci : au Brésil, l'explosion de l'endettement privé a fait bondir le coût du service de la dette dans le revenu des ménages à 21 %, à comparer à 14 % aux États-Unis juste avant la crise des subprimes. Sur le front géopolitique, les instabilités s'accumulent : la lame de fond qui balaye le monde arabe ne doit pas faire oublier que l'Iran poursuit son programme nucléaire, que la situation en Afghanistan demeure explosive tandis que celle du Pakistan se détériore. Sans parler de la Corée du Nord qui, il y a trois mois, avait déclenché un incident sérieux autour de l'île de Yeonpyeong, révélant les tensions sino-américaines sur le contrôle de la mer de Chine. Pour finir, les phénomènes climatiques extrêmes vont continuer de perturber la production de denrées alimentaires.Le défi, pour les investisseurs ou les chefs d'entreprise, consistera donc à intégrer deux contraintes de plus en plus antagonistes : l'embellie doit pousser à l'action, à l'audace, il faut sortir toutes les voiles pour rester dans la course mondiale, prendre des risques pour triompher d'une compétition féroce ; et en même temps, demeurer manoeuvrant - ou le devenir - et se tenir prêt à réduire la voilure ou changer de cap en un clin d'oeil si un grain intense surgit, le tout en conservant une vision à long terme. Très peu de modèles de management intègrent pleinement cette double contrainte. Le problème, c'est que la constante de temps des perturbations se rapproche de la durée d'adaptation : on n'a pas fini une réforme qu'il faut en engager une autre, ce qui épuise les équipages. L'époque est aux skippers réactifs du type Vendée Globe plutôt qu'aux barreurs de gros yachts ou aux beaux parleurs, mais les structures organisationnelles et managériales vont également devoir suivre, ce qui ne va pas de soi : il y a un risque de divorce durable entre la base, le middle, et le top management. Le plus difficile sera d'expliquer et de restaurer la confiance : les généraux devront quitter les états-majors et fréquenter les tranchées. La composition des bilans devra aussi être surveillée : « gearing » raisonnable, allongement des maturités pour profiter des taux bas, consolidation de lignes de crédit au cas où, et recours modéré aux couvertures car les soubresauts peuvent aller dans les deux sens.« L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps », disait Machiavel : il va pourtant bien falloir, et intégrer un nouveau paradigme au coeur des stratégies.
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