La route des artistes aux Seychelles

Aux Seychelles, les artistes se cachent entre les plages, et gardent à l'abri des regards leurs ateliers, tels des édens secrets. Michaël Adams est sans doute le peintre le plus connu des Seychelles. Grand ami de David Hockney, il reçoit en pantalon flottant dans sa case créole en bardeaux blancs d'Anse aux Poules bleues. Ses aquarelles reproduisant des entrelacs végétaux sont suspendues au milieu d'un capharnaüm de vieilles horloges et de kilims. Masse musculaire surélevée de cheveux blancs, décoré de l'ordre de l'Empire britannique, il est né en Malaisie chez des planteurs d'hévéas assez urbains pour accueillir Somerset Maugham. Il était professeur en Ouganda lorsqu'en 1971 Amin Dada accéda au pouvoir. La fuite et les combats qui s'ensuivirent l'ont dégoûté, à jamais, des violences. Depuis, il rêve vert. Certains de ses six chiens sur ses talons, sa femme Heather à son bras, il invite ses visiteurs à le suivre dans « sa mine de couleurs, son Giverny », succession de cinq jardins splendides, débordant d'ananas, de cocotiers de mer, d'orchidées ruisselant d'un grand kapok. Sa quête : restituer les cinq dimensions de ce labyrinthe d'architectures végétales.La violence n'est pas absente non plus de l'oeuvre de Léon Radegonde, seul îlien de notre quatuor, dont les collages utilisent des toitures de zinc rongées par les vents du large, des affiches électorales usées. Ses cartons de récupération laissent affleurer des masques africains et des témoignages de l'esclavage... Fier de son héritage créole, Léon ne manie ni acrylique ni pastel - introuvables sur l'archipel ; il réalise ses oeuvres en mélangeant cendres et couleurs ardentes au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de Macchabée ouvert sur un jardin de pommes cannelle. On jurerait que l'ancien président de l'Institut créole, aux tresses rastas et au tendre sourire, vient de passer ses 40 ans... Il avoue 61 ans. Même jeunesse d'esprit chez le sculpteur Tom Bowers, à Anse la Mouche. Il faut s'y rendre vers 17 heures de préférence, lorsque le soleil décline sur l'océan. Entre deux polissages de bronzes tout juste revenus du Cap, naïades ou tortues géantes, il distribue cinq kilos de riz aux cardinaux rouges qui par centaines pépient dans les flamboyants. On passe là un moment gracieux, avant de prendre la route pour l'adresse la plus insolite de l'île et peut-être de l'archipel. À Anse Gouvernement un chaos de roches dissimule l'atelier d'Antonio Filippin, 70 ans, la mèche fournie et une malice immédiate façon Bibi Fricotin. Son épouse Maria s'active au restaurant. On accède à l'antre de l'artiste amateur d'histoires de pirates en franchissant une grille en forme de toile d'araignée. Coffres de pirates, chauves-souris momifiées, délicates sculptures et source alimentent la piscine intérieure : la visite de ce palais troglodyte, ouvert à tous contre une modeste rétribution, vaut la peine. En se privant d'Internet, Maestro Antonio (l'homme est italien) s'offre un dernier conseil en forme de clin d'oeil : « Plutôt passer sa vie en vacances que travailler pour s'offrir des vacances. »
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