Un « clean euro » pour lutter contre le changement climatique

Développement économique et changement climatique ont des rapports ambivalents, voire conflictuels. L'Union européenne tente de les organiser dans le cadre d'un marché, où les différents acteurs échangent leurs coûts marginaux de dépollution. Objectif : optimiser les efforts de lutte contre les gaz à effet de serre. Une belle théorie, qui se heurte dans la pratique à une réalité planétaire avec laquelle elle peine à cohabiter : celle du commerce mondial, qui oublie trop souvent les priorités environnementales. Le marché des émissions de CO2, conçu par la seule Europe, qui a fait cavalier seul dans cette affaire, confronte ses entreprises à un surcoût potentiel, synonyme de perte de compétitivité. Avec le risque, à terme, d'une fuite des capitaux. À partir de 2013, ce surcoût deviendra réalité avec le début progressif des enchères de quotas : le coût des émissions, devenues payantes, sera systématiquement intégré par les industriels dans leur processus de production. Prenons l'exemple d'un papetier français en concurrence avec les pays émergents, comme la Chine. Avec les enchères mises en place sur les quotas carbone dont il a besoin, ses coûts de production seront encore augmentés. Il devra, pour pouvoir vendre ses produits même à côté de chez lui, délocaliser ses usines dans une zone moins contrainte, ou mettre la clé sous la porte.En face, le papetier chinois, exonéré de toute taxe, bénéficiera d'une prime gratuite offerte par l'effort de réduction des émissions de l'Europe. Comment ? Le Mécanisme du développement propre (MDP), créé par Kyoto pour stimuler des investissements réduisant les gaz à effet de serre dans les pays en voie de développement, devait en théorie permettre de répartir l'effort entre le Nord et le Sud. En fait, il offre une compétitivité supplémentaire aux sociétés chinoises, indiennes ou africaines réalisant des efforts de dépollution : pour tout investissement « dépolluant » elles obtiennent en effet des CER, des certificats d'émissions négociables, qu'elles vendent immédiatement aux groupes européens, à un prix certes inférieur à la tonne de CO2. Même en achetant des crédits légèrement moins chers à un groupe de chimie en Chine, notre papetier européen doit encore acquérir un actif supplémentaire pour pouvoir produire, contribuant à financer ses principaux concurrents ! Ce mécanisme de crédits, conçu dans les années 1990, visait à attirer les capitaux vers les pays émergents. Or, aujourd'hui, les investissements se dirigent spontanément vers les émergents. C'est plutôt l'Europe qui risque de se voir marginalisée, faute d'investissements.Ce nouveau « climat » économique amène une stagnation des prix du carbone, puisque la demande de crédits ou de quotas est affaiblie par le faible nombre d'intervenants. Plus grave, il remet aussi en question les perspectives de croissance européenne. Il serait plus juste, à l'avenir, de remplacer au moins partiellement le MDP par des projets d'investissement en Europe dans des technologies environnementales qui puissent véritablement créer une économie dédiée à l'environnement, véritable gisement de croissance et d'emplois. Ensuite, il semble inéluctable d'imposer la contrainte carbone à tout vendeur de marchandise sur le territoire européen, et non pas aux seules usines locales. Pour cela, il faut introduire une taxe sur les biens provenant de pays n'imposant pas de plafond à leurs émissions. Cette taxe serait indexée sur le marché des quotas européen. Ce pourrait être l'occasion d'introduire une monnaie propre, le « clean euro », comme devise reversée aux industriels extra-européens. Un euro plus élevé que celui en vigueur : ainsi, pour un produit vendu en France un euro, notre entreprise chinoise ne toucherait que, par exemple, 0,95 euro. Pour maintenir son chiffre d'affaires en devises, elle serait alors contrainte d'augmenter son prix, et deviendrait ainsi moins compétitive. Géré, par exemple, par la Banque centrale européenne, ce « clean euro » permettrait d'étendre la portée du marché des quotas, de le rendre plus efficace et de créer des bases solides à la fois pour la finance carbone et une vraie économie environnementale.Par Marius-Cristian FrunzaChercheur À Paris I et au Cnam
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