Le juge de paix et le prévaricateur

Les marchés, on le sait, ne sont pas aujourd'hui en odeur de sainteté. Le phénomène n'est certes pas nouveau. Déjà, il y a vingt ans, nous n'étions pas nombreux à dénoncer leur « tyrannie ». Mais, avec la crise financière et, plus récemment encore, l'affaire grecque, la mise en question paraît avoir franchi une étape. Haro donc sur les marchés, leur court-termisme, leurs irrépressibles bouffées spéculatives, leurs pressions qui se font de moins en moins résistibles sur les gouvernements. En réalité, les choses sont moins simples, les marchés sont à la fois vilipendés par certains et, simultanément, défendus bec et ongles par d'autres.Les tenants des marchés ne manquent pas de vanter leur fonction de « juges de paix » objectifs, et réactifs avant tout autre. Si, disent-ils, des banques et des hedge funds se sont entendus pour attaquer les obligations grecques et les dérivés synthétiques y afférent, c'est parce qu'il fallait bien, un jour ou l'autre, apurer les comptes des gouvernements grecs successifs qui n'ont cessé d'accumuler les erreurs et les falsifications. Dès lors, devant la fuite en avant des politiques et la mansuétude tout aussi coupable des autorités européennes, il convenait que quelque part, tôt ou tard, la réaction s'organisa. Ce furent donc les marchés, et eux seuls, qui, à un moment donné, surent révéler les failles et « dire le vrai » sur la situation hellénique. N'était-ce pas cette même lucidité des marchés qui s'était manifestée pour la Russie, ou l'Argentine en 2001 et, en tant et tant d'autres occasions ? Dès lors, acceptons leur sanction. Ils sont ces « juges de paix » qui empêchent d'aller trop loin, pallient le manque de courage des gouvernements, tranchent dans le vif et corrigent les trajectoires les plus fautives.Sans doute y a-t-il une petite part de vérité dans ce raisonnement. Cependant, on ne saurait pour autant en accepter ni les prémisses ni les conclusions. Arbitres « bénévolents », les marchés ? Pour qu'il en soit ainsi, encore faudrait-il qu'ils ne soient pas juges et parties, comme ils le sont si souvent. D'abord en agissant de conserve comme ils le firent, semble-t-il, lors d'une réunion organisée, s'il faut en croire « Le Temps » de Genève, par une grande banque américaine et deux très importants hedge funds, quelques jours avant l'attaque contre la dette grecque. Ce faisant, ils manipulent les cours et s'abstraient de la règle de l'anonymat de la concurrence. Ensuite, en orchestrant des campagnes qui ont sans doute un fondement mais qui seront sanctionnées par de considérables profits qui résultent des vagues spéculatives dont les marchés sont directement à l'origine. N'est-ce pas exactement ce qui s'est passé pour la Grèce et ses obligations souveraines vendues en quantité sans même les avoir en portefeuille (à découvert) et en spéculant aussi sur les dérivés de crédit qui y étaient adossés ? Les marchés, en fait, deviennent, trop souvent, non pas ces juges de paix qui apaisent mais des juges prévaricateurs qui provoquent les plus profonds déséquilibres engrangeant in fine les bénéfices. Ils sont en effet directement intéressés aux résultats des ondes spéculatives qu'ils déclenchent et, sauf à tomber dans on ne sait trop quel irénisme, on ne saurait les considérer comme de véritables arbitres. De la même façon, on pourra s'interroger sur le rôle des agences de notation qui, à l'image de Standard and Poor's, viennent d'attribuer un BB + aux obligations grecques en les rétrogradant au niveau des junk bonds. Peut-on les considérer comme des informateurs éclairés ou faut-il mettre en cause ces sociétés qui choisissent le moment de déclencher la tempête alors qu'elles sont rémunérées par ceux qui négocient ces titres et que l'instant d'avant, par exemple, en août 2007, elles attribuaient un AAA aux banques islandaises pourtant à la veille de leur faillite ? L'enseignement à tirer de cette ambiguïté congénitale des marchés est double. Sans doute on ne saurait entièrement faire fi de leur opinion. Mais, en même temps, les marchés doivent être encadrés et régulés au plus près et une objectivation des situations doit être recherchée sur la base de jugements et diagnostics réellement indépendants.(*) Professeur honoraire à l'université de Bordeaux et directeur de Cyberlibris.Prochain ouvrage à paraître en août : « l'Étau des marchés financiers » (Éditions Maxima). Point de vue Henri Bourguinat Et éric BrIYS (*)
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.