Le mythe de la décroissance heureuse

oint de vue Mathieu Laine (*) Président d'AltermindParce que la croissance se ferait sur le dos de la nature ; parce que l'argent ne ferait pas le bonheur ; parce que la croissance comme objectif social chargerait nos existences de nuisances et de pressions psychologiques tout aussi ascendantes, nous écartant de l'impératif de bonheur et sacrifiant notre « droit au loisir et au développement personnel » sur l'autel du productivisme roi et de la consommation ostentatoire, nous serions tous engagés, entend-on de plus en plus, dans une véritable impasse sociétale. Le seul moyen de mettre un terme à cette spirale infernale du « toujours plus » (ou du « travailler plus pour gagner plus ») : entrer dans le monde (supposé) béni de la décroissance.La crise aidant, le mythe de la décroissance heureuse est de retour. Nos nouveaux maîtres penseurs n'ont pas loin à chercher : au début des années 1970, le fameux rapport Meadows, intitulé « les limites de la croissance » (improprement traduit en français « Halte à la croissance » !) et commandé au MIT par le non moins fameux Club de Rome, était ? déjà ? apocalyptique : modèle économétrique à l'appui, la croissance était, si l'on ne changeait rien, vouée à s'effondrer (avant 2010 !), la Terre à être saturée de déchets, les matières premières et les ressources naturelles à disparaître et les pays pauvres à être colonisés par les pays industrialisés qui, au passage, exporteraient leur terrible virus. Le remède à ce désastre multiforme ne saurait être le progrès technique, qui peut « atténuer les symptômes d'une maladie du système, mais n'en éliminera pas la cause profonde », mais le « freinage radical de la croissance pour atteindre un état d'équilibre » (sic).En parallèle de ces envolées quasi lyriques, une partie du monde scientifique est venue conforter cette opposition croissante à « la croissance pour la croissance », de Jean-Pierre Dupuy et Philippe d'Iribarne, dans « la Politique du bonheur », à la remise en cause de l'utilité hédonique de la croissance par l'économiste Richard Easterlin. Des économistes « comportementalistes » ont observé que la proportion d'Américains se déclarant « très heureux » n'aurait pas augmenté entre 1973 et 2003 malgré l'accroissement du PNB par tête de deux tiers. Ces conclusions ont été contrecarrées par Albert Hirschman (économiste, auteur de « les Passions et les Intérêts, justification politique du capitalisme avant son apogée », 1977, et de « Bonheur privé, action publique », 1982), qui a expliqué cette « bizarrerie statistique » par l'existence d'effets d'anticipation et d'effets cognitifs, et par la majeure partie des néoclassiques et des libéraux, qui considèrent l'action humaine comme résultant de choix destinés à maximiser, dans un univers de contraintes, un objectif de bien-être.La décroissance systémique (à titre individuel, est décroissant qui veut, dès lors qu'il n'impose pas aux autres de le devenir !) est un projet d'enfants gâtés vivant dans des contrées ayant bénéficié de décennies de croissance forte et voulant fermer le portillon du progrès derrière eux. De l'an mil jusqu'en 1820, la croissance ne dépassait pas 0,05 % par an. Cette longue page d'« histoire immobile » équivaut à cet équilibre du néant recherché par ceux qui, sans doute, apprécient, une fois leurs discours prononcés, les multiples progrès dus aux différentes révolutions industrielles et technologiques.La croissance de marché est aussi porteuse de pacification, de démocratie et d'avancées environnementales. On lui doit la conquête du temps, l'allongement de la vie humaine et la libération de la femme. On lui doit aussi le recul de la pauvreté. Hernando de Soto fait de la propriété privée, moteur de la croissance, le remède aux bidonvilles. Des droits à polluer aux vertus de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) choisie en passant par l'inventivité perpétuelle, on perçoit que croissance et environnement sont bien plus alliés qu'ennemis, l'Homme étant, comme le disait Julian L. Simon, « notre dernière chance », titre de son livre. La souffrance et les pertes d'emplois qui accompagnent le ralentissement brutal de la croissance depuis août 2008 relativisent par ailleurs d'autant l'envie d'un monde sans croissance !Alors que la décroissance fait partie de ces rêves porteurs des pires dérives (brider par la contrainte, c'est mettre la liberté à terre), elle infuse pourtant, subtilement, notre vision politique. Le principe de précaution préfère l'abstinence à l'agir risqué ; l'hypertaxation pénalise l'effort et le travail ; les excès du droit de la concurrence freinent l'innovation ; l'obsession industrialiste et l'idéologie frileuse nous font tourner le dos aux technologies nouvelles (nano, géno, etc.) qui seront, demain, les moteurs de la croissance et du bien-être.Au constructivisme moralisateur de la stagnation forcée et à la stratégie du rétroviseur, préférons la liberté et l'inventivité de l'entrepreneur et la responsabilité laissée à chacun de vivre comme il l'entend. Car si la croissance ne fait pas le bonheur, elle y contribue considérablement.(*) Dernier livre paru : « Post politique », JC Lattès.
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