Dans le bureau vide

Personne n'ose franchir le seuil. C'est pourtant tentant un bureau vide, un bureau de chef. Un bureau à soi, des conversations à deux, les joies du « closed space ». Mais un bureau de chef reste un bureau de chef, même vide depuis plusieurs mois. Vos collègues ne manquent pas de vous le rappeler. Il y en a deux qui ont tenté de se l'approprier en s'y enfermant pour passer des appels personnels. Nous nous sommes tous inquiétés. Pour rien. Vous poussez la porte pour demander : « Tout va bien ? » « Oui, merci. » C'est radical. Ils ne recommencent pas.Nous allons avoir un nouveau chef. Nous connaissons même son nom. Depuis quelques jours, les services généraux s'activent. On a d'abord vidé les placards de notre ancien boss, qui nous a quittés sans rien emporter. « Pas la peine de ressasser les vieux souvenirs quand on part à la retraite », nous avait-il dit le jour de son pot de départ. Ses placards regorgent de bouquins de management, de gestion, inutiles ou dépassés. On les met à notre disposition à l'entrée de son bureau, dans des cartons. Ils se vident en deux temps trois mouvements.table rase du passéOn nettoie, on désinfecte, on astique. Les services généraux font table rase du passé. Le nouveau n'est pas arrivé mais il fait construire son bureau. À son image, sans doute. On rajoute un « paper board » avec des feutres de quatre couleurs ? Un chef moderne le sait bien : un dessin vaut mieux qu'un long discours. On fait de la place sur le bureau pour mettre un deuxième écran d'ordinateur ? Un chef moderne doit être hyperactif et toujours en avoir un peu plus que les autres. Il a fait rajouter une petite table de réunion ? Un chef moderne sait écouter avant de trancher. Les mauvais ouvriers ont toujours de mauvais outils ? On a rempli son armoire à fournitures de jolis crayons, d'une boîte de gommes, de chemises de toutes les épaisseurs et de toutes les couleurs, de punaises, d'aimants et d'un tas de cahiers?Comme les autres chefs, on lui a installé une machine à café ; douze bouteilles d'eau et deux téléphones. Une ligne directe avec le DG. Sa future assistante a posé bien en évidence son agenda. Tout est prêt. Il arrive lundi. C'est tout de même bizarre : ce bureau vide, nous nous y étions habitués.
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