Pourquoi le « Bretton Woods 2 » de Sarkozy fait un flop

Les plus charitables l'attribuent au romantisme échevelé des Français, qui fait fi de la réalité. Les autres l'expliquent par notre ignorance de l'économie : à Davos, la proposition de Nicolas Sarkozy pour organiser un « nouveau Bretton Woods » a fait un flop. Il s'agirait, selon les termes du chef de l'État, de réformer le système monétaire international au moyen d'une grande conférence analogue à celle de 1945 où dirigeants du monde et économistes ? Keynes y a activement participé ? ont organisé la fixité des changes autour du dollar, celui-ci étant alors défini par un poids d'or. En 1971, le système de Bretton Woods, devenu intenable à cause de sa rigidité, a été abandonné en même temps que l'étalon or, pour laisser place au flottement des devises. Le cours de celles-ci est désormais déterminé par le marché, sous le contrôle plus ou moins effectif des grandes banques centrales.L'idée de Sarkozy est simple : avec la libéralisation des monnaies, c'est la finance qui triomphe ? elle fait des profits considérables en spéculant ? et l'économie réelle qui trinque. « Il n'y aura pas de remise en ordre de la finance et de l'économie si on laisse persister le désordre des monnaies, a déclaré le chef de l'État dans la petite ville suisse le 27 janvier. On ne peut avoir d'un côté un monde multipolaire et de l'autre une seule monnaie de référence à l'échelle planétaire. On ne peut pas d'un côté prôner le libre-échange et de l'autre tolérer le dumping monétaire. »Le paradoxe, c'est que le principal déséquilibre de l'économie mondiale actuelle provient non pas de la libéralisation des régimes de change, mais au contraire d'une rigidité excessive : le lien fixe entre le yuan et le dollar, imposé par la Chine ? la devise chinoise n'est pas convertible, donc pas négociable sur les marchés internationaux, ce qui permet à la Banque de Chine de contrôler très précisément son cours. Le taux de change choisi est très favorable à Pékin, qui alimente sa croissance avec des exportations rendues ainsi très compétitives. La Chine engrange des excédents considérables ? 200 milliards de dollars sur la seule année 2009 ? entretenant ainsi le déséquilibre planétaire d'épargne, qui déprime la demande mondiale et affaiblit l'activité de la planète. En réalité, la Chine fait de la croissance sur notre dos.Ce phénomène, qui dure depuis plusieurs années, est l'une des causes majeures de la crise financière. Car comme la Chine place ses excédents sur les marchés, elle gonfle le flot de liquidités mondiales, qui servent de matière première aux bulles spéculatives : la crise des subprimes est en partie « made in China ». Le seul moyen d'interrompre ce cercle vicieux n'est pas de fixer les changes avec un « nouveau Bretton Wood », mais au contraire de libéraliser davantage. Si Pékin laissait le yuan flotter tout en ouvrant son marché des capitaux, la devise chinoise s'apprécierait considérablement, car les investisseurs afflueraient, séduits par les perspectives du pays. Certains experts considèrent que le yuan pourrait grimper de 80 % à 100 % par rapport aux autres monnaies. La Chine serait moins compétitive sur nos marchés, nos produits le seraient davantage chez elle : la croissance mondiale serait rééquilibrée.Quant à la suprématie mondiale du dollar que Sarkozy voudrait remettre en cause lors de cette prochaine conférence internationale, il n'est pas sûr que l'Europe y ait intérêt. Au moins dans l'immédiat. En effet, si les principaux détenteurs de capitaux ? les pays producteurs de pétrole, la Chine, le Japon par exemple ? diversifiaient leurs avoirs en vendant leurs dollars pour de l'euro, si la devise européenne devenait un véritable instrument de transactions internationales et d'endettement, la demande d'euro progresserait fortement, ce qui aurait pour effet de faire monter son cours encore davantage ! La reprise sur le continent pourrait être compromise.Un haut responsable européen voit dans l'obsession de Sarkozy pour Bretton Woods la « nostalgie française de la stabilit頻. « Voilà quarante ans que les changes flottent, explique-t-il, les Allemands s'y sont faits, les Français ne l'ont toujours pas admis. Parce que l'Allemagne regarde le monde, tandis que la France regarde l'Allemagne. » Cette névrose française de la stabilité n'a certes pas que des inconvénients. Elle a été un aiguillon puissant pour mettre sur pied l'euro, dans une zone très intégrée au plan du commerce : Bretton Woods 2 a déjà eu lieu, c'était l'union monétaire européenne.Point de vue françois lenglet Rédacteur en chef à « La Tribune »
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