Risque, capital et Powerpoint : les enjeux de la tertiarisation

PerspectivesL'externalisation vers les services est une tendance bien connue des économies contemporaines. Le déclin de l'industrie dans la richesse nationale ne serait ainsi qu'apparent car il traduirait en partie le basculement de services autrefois réalisés dans chaque entreprise vers des prestataires spécialisés. Intérim, entretien, paye, comptabilité, restauration, transports... : une part importante des effectifs et des chiffres d'affaires se retrouve dans des activités de services qui, auparavant, correspondaient à des prestations réalisées dans d'autres catégories d'entreprises.Mais beaucoup d'autres services aux entreprises connaissent une forte croissance sans pour autant s'inscrire dans ce mouvement d'externalisation. Ils sont nouveaux ou se développent, mais n'étaient pas internalisés chez leurs clients auparavant. Ainsi, le conseil, l'audit, les services juridiques, la banque-conseil, les prestataires de services liés à des régulations sociales ou environnementales enregistrent des croissances très supérieures au PIB. Exemple frappant, le conseil en gestion des entreprises a représenté en France une valeur ajoutée de 11 milliards d'euros en 2009, soit autant que le secteur automobile, activité ô combien symbolique de l'industrialisation. Et aux États-Unis, depuis trente ans, ces différents services connaissent en moyenne une croissance deux fois plus rapide que celle de l'ensemble de l'économie. Au-delà du constat, cette évolution est-elle problématique ? Après tout, ces services sont généralement concurrentiels, et leurs clients pourraient s'en passer, au moins pour ceux qui ne correspondent pas à des obligations légales, s'ils n'y trouvaient pas un intérêt correspondant aux prestations facturées. Pour autant, cette tendance pose question. Ces services en fort développement sont très peu consommateurs de capital et rémunèrent en quasi-totalité de la main-d'oeuvre, pas des investissements. Et leurs risques sont faibles : dans le pire des cas, les honoraires diminuent et les effectifs s'ajustent, mais la probabilité de pertes très lourdes est infime en comparaison d'une activité intensive en capital.Au final, une fraction de plus en plus réduite de l'économie supporte un poids croissant de prestations facturées par ces fournisseurs de services, champions des « disclaimers » et des présentations Powerpoint. Ces activités qui prospèrent ont des points communs. Beaucoup tournent autour de la régulation et croissent au fur et à mesure que celle-ci se renforce. Les coûts directs et indirects associés à la cotation sur un marché réglementé sont ainsi souvent invoqués, comme ce fut le cas aux États-Unis après la loi Sarbanes-Oxley. Les financiers sont soumis à des exigences croissantes, Bâle III et Solvabilité II apportant leur lot de certifications et « reportings » supplémentaires. Et une grande partie des fameux « emplois verts » vient de la création de nouvelles contraintes... D'autres de ces services en expansion ne sont pas directement liés à de nouvelles normes, mais procèdent pour autant d'une forme d'autorégulation de leurs clients, qui veulent se prémunir contre des risques réels ou supposés grâce à ces prescripteurs externes. Dans tous les cas, c'est une part de plus en plus importante de l'économie qui est consacrée à ces services facturant commissions et honoraires.Pour que cette évolution soit vertueuse, il faut que les externalités résultant de ces activités fassent plus que compenser leurs coûts. Or, au moins pour ce qui concerne les régulations, qui doivent surtout générer des « biens publics », il est permis de douter. Un surcroît de régulation peut avoir des avantages inférieurs à ses coûts au-delà de certains seuils, peser sur les gains de productivité et expliquer ainsi des sentiers de croissance divergents entre pays développés les plus régulés et puissances émergentes moins formelles. Vers lesquelles affluent des capitaux qui se trouvent mal rémunérés dans les économies les plus avancées. En revanche, aucun doute, de telles activités créent de la valeur... pour elles-mêmes : dans son rapport de 2009 sur le partage de la valeur ajoutée, l'Insee avait relevé que les professions concernées occupaient une part croissante et désormais largement prépondérante dans le 1 % des salaires les plus élevés en France.Les besoins en capitaux sont considérables, qu'il s'agisse de financer l'investissement dans les secteurs innovants ou de faire face à des risques extrêmes dont l'actualité illustre la prégnance. Ce qui suppose, en économie ouverte, un rendement compétitif. Naturellement, des substitutions entre capital physique et capital humain sont possibles et autorisent des modèles de croissance différenciés. Mais dans certaines limites : une expansion continue du poids de cette « économie d'honoraires » ne serait certainement pas compatible avec une forte croissance sur le long terme.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.