La désespérance ? Un stimulant pour l'action

Edgar Morin nous appelle, dans « Comment vivre en temps de crise ? », à un nouveau pari pascalien pour refuser la résignation et utiliser l'incertitude comme un stimulant pour l'action. Selon lui, Pascal avait sur Descartes un atout de taille : un sens de l'ambiguïté nécessaire à la compréhension de la période de mutations qui n'a pas commencé avec la crise financière, tant s'en faut. Comment, pour mieux les dépasser, assumer les contradictions dans lesquelles nous vivons sans tenir compte de l'ambivalence ? Celle des États-Unis, rempart contre les dictatures mais tentés par l'impérialisme, celle de l'Europe aussi, cruelle dans ses conquêtes coloniales mais terreau des droits de l'homme, celle de la mondialisation, enfin, créatrice de nouvelles richesses et... de nouvelles misères ?Face à cette difficulté à penser une crise complexe et planétaire, le sociologue et philosophe part d'exemples simples pour mettre en garde contre les stéréotypes : la standardisation ambiante n'a pas empêché... les pizzas d'intégrer des éléments propres à chaque pays ou le métissage culturel mondial de régénérer le flamenco. « Nous sommes peut-être arrivés à un point de rupture », reconnaît Edgar Morin, notamment sur l'avenir écologique de la planète. Il est d'autant plus urgent de tirer les enseignements de la crise qui frappe le quadrimoteur « du vaisseau spatial Terre » - la science, la technique, l'économie et le profit - pour chercher des solutions nouvelles. Afin d'éviter le probable, « un mélange de guerre et de catastrophe ».Un principe d'espérance partagé par Patrick Viveret, même si nous vivons trois grandes vagues de mutations à la fois : un « modèle CDD » (dérégulation, compétition à outrance, délocalisation) devenu insoutenable ; la fin d'une modernité occidentale selon laquelle le salut passait par l'économie ; la « sortie de l'âge de pierre de l'humanité » avec le défi écologique, l'émergence d'un territoire mondial et les révolutions du numérique comme de la génétique. Pour le philosophe, sortir par le haut de cette situation maniaco-dépressive où se succèdent euphorie et panique, passe par un changement de posture par rapport à la richesse, au pouvoir, au sens de mots qu'il faut se réapproprier, telles « la valeur » ou « la puissance créatrice ». Bref, il est possible d'instaurer de nouveaux rapports au pouvoir démocratique car « nous assistons à la fin d'un monde et non du monde ».Rêves de philosophes vivant dans l'abstraction ? Dans « l'Espoir économique », Maria Nowak entend prouver qu'il n'en est rien. Plutôt que de s'en prendre à « l'Horreur économique » comme le fit Viviane Forrester, l'auteur explique qu'il est possible de faire, un tant soit peu, bouger les montagnes. Avec la rigueur de l'économiste formée à la London School of Economics et la passion de la petite Polonaise qui, arrivée seule de « nulle part » à Paris à 11 ans, a connu « la guerre, l'exil et la misère ». Et ne veut pas « avoir survécu pour rien ».Point d'optimisme béat dans cette analyse limpide des dégâts provoqués par des décennies de dérives. Maria Nowak dénonce un monde virtuel où seule « la classe affaires » aurait le droit de pénétrer, la course au profit pour le profit, la dégradation de l'image même de l'entreprise du fait des excès de quelques-uns. Sans oublier la « mondialisation par le bas » de l'économie formelle mais aussi informelle, celle de la « débrouille » qui représente entre 10 % et 15 % de la richesse comptabilisée en Europe. Cette situation, l'auteur la connaît bien pour avoir créé contre vents et marée l'Adie (*) qui accompagne, grâce au microcrédit, des dizaines de milliers de chômeurs et travailleurs pauvres dans la création de leur entreprise. Lucide, elle sait que cette approche ne bouleversera pas « l'équilibre du monde ». Mais peut changer « le regard sur la capacité d'initiative » des plus démunis.Femme d'action et de terrain, Maria Nowak reste un partisan résolu de l'économie de marché et d'un libéralisme qu'elle juge compatible avec la démocratie. À condition d'instaurer un contrôle permanent du capitalisme. Assistera-t-on un jour à cette « perestroïka » du capitalisme qu'elle appelle de ses voeux ? On peut être sceptique. Mais l'improbable, cher à Edgar Morin, ne peut être écarté d'un revers de main. (*) Association pour le droit à l'initiative économique.? « Comment vivre en temps de crise », de Edgar Morin et Patrick Viveret, éditions Bayard, 92 pages, 15 euros.? « L'Espoir économique », de Maria Nowak, Éditions JC Lattès, 298 pages, 18 euros.ParFrançoise Crouïgneau Journaliste
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