La photo au fil de l'eauPlusieurs centaines de photos signées des plus grands, parmi lesquels Gustave Le Gray, Berenice Abbott, Édouard Boubat, André Kertesz ou Sebastiao Salgado. Les uns ont immortalisé les océans, les récifs ou le ressac. Les autres des paquebots, le rivage ou les pêcheurs. Autant d'images aujourd'hui réunies par Pierre Borhan ? ancien directeur du Patrimoine photographique de 1988 à 2003 ?, au sein d'une belle anthologie de la photographie maritime de 1843 à nos jours. L'occasion de voguer sur l'histoire de cet art à travers de sublimes tirages pour la plupart en noir et blanc.Née en 1839, la photographie s'est très vite tournée vers le large. Car la mer, enfin accessible, moins sauvage depuis qu'on a colonisé les plages, fascine le public. Les hommes dévorent « la Mer » de Michelet, se passionnent pour « les Travailleurs de la mer » de Victor Hugo. Et les photographes rongent leur frein. Tant que leurs appareils nécessitent stabilité et long temps de pose, ils ne peuvent traverser les océans. Alors ils photographient les bateaux à quai, immortalisent l'horizon, mais restent sur le rivage. Ce qui n'empêche pas Le Gray de faire des miracles. En accolant deux négatifs ? l'un figurant le ciel, l'autre la mer ? saisis sur les rives de l'Atlantique ou de la Méditerranée, il réalise des marines, bruissant au rythme du vent et du courant, d'une beauté à couper le souffle.InstantanésIl faut attendre 1880-1890 pour que les photographes montent enfin à bord. Car il se développe dans ces années-là des appareils beaucoup plus perfectionnés, capables de réaliser des instantanés. Beaucoup d'Anglais parmi eux. Normal. Les Britanniques et leur empire dominent alors le monde. Et c'est avec orgueil national et fierté que les sujets de sa majesté immortalisent navires et paquebots de leur pays.Si la Grande Guerre met un terme à ce genre de photo, l'engouement pour la mer reprend de plus belle lorsque les armes se taisent. D'autant que les compagnies maritimes réclament des tirages pour faire leur publicité. Mais on ne photographie plus de la même manière. L'heure est à la nouvelle objectivité. Pour rompre avec la passion des combats, les Allemands, tels Renger-Patzsch ou Laszlo Moholy-Nagy (l'inventeur de la photographie version Bauhaus), optent pour une photo pure, aux lignes géométriques claires. « On trouve dans leur photo une prépondérance des formes navales, qu'il s'agisse de mâts, de bouées ou de cheminées », confie Borhan. D'autres imposent une « nouvelle vision » faite de plongées et contre-plongées. Le surréalisme est également prisé de Dora Maar, tandis que Lee Miller fait voguer un voilier sur une chevelure ondulée.Et les hommes dans tout ça?? On les retrouve surtout à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain du carnage, Américains et Européens tentent de communier avec leurs semblables venus d'autres contrés. « D'autant que la presse, en plein boom, réclame des reportages pour illustrer ses pages », poursuit l'auteur. L'océanographe et photographe Anita Conti monte à bord de terre-neuvas partis pêcher la morue, quand elle ne grimpe pas sur les pirogues des pêcheurs sénégalais, magnifiés dans de superbes portraits. La photo humaniste vit là ses plus belles heures.Image documentaire, plasticienne, portrait, reportage, journal intime avec les photos de Lartigue, ou paysage? À y regarder de plus près, tous les genres photographiques ont embrassé la mer. Seule la mode est restée sur le rivage. « Depuis les années 1980, on assiste à un retour de la photographie pure, souligne Pierre Borhan. La mer comme sujet n'intéresse plus les plasticiens. Ce qui compte, c'est le rendu de la matière, la lumière, les effets de surface. » Comme chez Sugimoto, à qui l'on doit une série de marines. Et c'est magnifique.Yasmine You

latribune.fr

05 Déc 2009, 1:45

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