Essayer d'être un homme

À 47 ans, Albert Camus a trouvé la mort dans un bolide alors qu'il rentrait de Lourmarin vers Paris après un réveillon entouré d'amis. C'était un 4 janvier. On célèbre ces jours-ci les 50 ans de sa disparition. Cet anniversaire n'est pas un prétexte médiatique. Il n'y a pas de hasard à faire ressurgir du passé la pensée de ce Prix Nobel, qui jugeait que « le sens de la vie est la plus pressante des questions ». Si l'écrivain a connu le succès de son vivant, le penseur était moins à la fête. Et c'est justement en philosophe de notre temps, qu'il nous revient aujourd'hui, pour éclairer une société en mal de repères. À ceux qui s'interrogent sur sa présence dans cette chronique, je répondrai que ses essais valent à eux seuls tous les manuels de management. Mieux : ils apportent la certitude qu'il n'y a de richesse que d'hommes. « C'est au milieu de ces richesses que l'esprit sent le mieux ses pouvoirs et ses limites. C'est-à-dire son efficacit頻, disait celui qui affirmait simplement vouloir « essayer d'être un homme ».Alors, en ce début d'année, je ne résiste pas au désir de vous adresser mes v?ux de « mieux-être au travail » en vous délivrant pour feuille de route quelques-unes de ses réflexions, propres à nous redonner foi pour toute une décennie. Pour Camus, le chemin du bonheur se trouve dans « une attitude d'esprit modeste qui procède à la fois du bon sens et de la sympathie » et non dans la quête de maîtrise et de savoir. Il faut, nous dit-il, laisser une place à l'absurdité. Car « le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre ». L'écrivain en veut pour preuve le châtiment de Sisyphe avec son rocher. Les dieux avaient imaginé qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. Certes, nous dit Camus. Mais si ce destin est tragique, c'est que son héros est conscient. « Et cette clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Si la descente se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire dans la joie. [?] Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose », écrit-il dans « le Mythe de Sisyphe ». Il faut le lire et le relire pour nourrir notre réflexion sur le travail. Pour y découvrir les jours où l'on se rend au bureau avec des semelles de plomb que « nous prenons l'habitude de vivre avant celle de penser ». Le philosophe avait bien senti la lassitude d'une vie de labeur mais aussi son antidote, c'est-à-dire la prise de conscience. « Il arrive que les décors s'écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway quatre heures de travail repas sommeil, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement le ?pourquoi? s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement. La lassitude inaugure le mouvement de la conscience. Elle l'éveille. [?] Le simple ?souci? est à l'origine de tout. » Remettons nos pas dans les pas perdus d'Albert Camus. Et gardons présente sa ligne de vie : « Penser, c'est réapprendre à voir, à être attentif, c'est diriger sa conscience, c'est faire de chaque idée et de chaque image un lieu privilégié. Ce qui justifie la pensée, c'est son extrême conscience. Le moyen ici a plus d'importance que la fin. » Pour Camus, notre salut, c'est d'imaginer Sisyphe heureux. Alors bonne année à tous les Sisyphe. nTout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle », Albert Camus, philosophe.
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