Garnier, l'arme anticrise de L'Oréal

Ils sont verts et? pas chers, deux qualités clés pour convaincre un consommateur satisfait qu'une marque sache faire rimer écologie et économie. Après avoir rencontré un franc succès en Europe de l'Est, la nouvelle gamme de crèmes, démaquillants et toniques Garnier fait actuellement son entrée dans les rayons des supermarchés français. Baptisée Soins Essentiels, elle affiche dans l'Hexagone des prix inférieurs à 4 euros. « Les Essentiels complètent la gamme actuelle en proposant des produits d'accès qui nous permettent de recruter de nouveaux consommateurs », explique à « La Tribune » Jean-Paul Agon. Depuis un an, le directeur général de L'Oréalcute;al ne tarit pas d'éloges sur sa « seule marque verte ». Pas une annonce de résultats sans qu'il n'en vante les mérites. La raison de cette soudaine passion est simple : les valeurs historiques de naturalité et d'accessibilité de Garnier rencontrent l'air du temps. « Les consommateurs, désorientés par la crise, cherchent en ce moment le bon rapport qualité-prix et les produits naturels », constate Jean-Jacques Lebel, vice-président, directeur général de la division grand public du groupe. Mieux, la marque connue dans le monde entier est un formidable moteur de croissance dans les pays émergents, où elle progresse de 17 % cette année (contre 4 % sur l'ensemble du monde). Là même où, à terme, le groupe veut réaliser 50 % de son chiffre d'affaires.Le succès de cette nouvelle star du géant mondial des cosmétiques ne date pas d'hier. Depuis dix ans, ses ventes ont été multipliées par trois. Elles viennent tout juste de passer le cap des 2 milliards d'euros. Ses fleurons ? Les shampooings Fructis, les soins colorants Nutrisse et les produits d'aide au bronzage Ambre Solaire. Créée en 1904 par Alfred Amour Garnier, inventeur de la première coloration aux extraits de plantes, la société a été rachetée par L'Oréalcute;al en 1965 mais le groupe a attendu les années 1990 pour la déployer hors de France. En Europe d'abord, puis, à partir de 2000, dans le reste du monde. Aujourd'hui, la France ne représente d'ailleurs plus que 12 % des ventes.Entre-temps, la visibilité de la marque a beaucoup évolué. À l'origine, sur les emballages, les tubes et les flacons, le logo de Garnier se faisait discret. Puis, il s'est progressivement imposé pour finir par prendre le dessus sur les noms de gamme. Les shampooings sont ainsi passés de Fructis tout court à Fructis de Garnier, puis à Garnier Fructis. « Cette ombrellisation s'est fortement accélérée ces dernières années », observe un concurrent. Mais c'est surtout depuis un an que les équipes marketing s'activent à raviver les valeurs profondes d'une marque devenue l'arme idéale de L'Oréalcute;al pour affronter la crise. Dans les couloirs vert granny-smith du troisième étage de l'immeuble de Clichy, les chefs de produits travaillent à la création de nouvelles gammes avec un seul mot d'ordre : rester 15 % à 20 % moins chère que sa concurrente interne L'Oréalcute;al Paris, dont il n'est pas question d'écorner l'image en rognant sur les marges. En plus des crèmes Soins Essentiels ou de la coloration Herba Brillance à 8 euros lancée en janvier, elle investit actuellement de nouveaux territoires comme les produits de coiffage ou les déodorants avec des innovations très grand public telles que la laque au bambou à 4 euros. D'abord destinées aux pays à faible pouvoir d'achat comme la Russie ou les pays de l'Est, ces innovations sont aujourd'hui dupliquées pour l'Ouest. Quelques traductions, et le tour est joué. Son positionnement « vert » est aussi plus que jamais affiché. Tous les nouveaux produits mettent en avant un ingrédient naturel : bambou, caféine, huile d'argan? Le slogan « Prends soin de toi » cède petit à petit sa place à « La science de la nature » et l'ancien logo vient d'être remplacé par une version à la fois plus épurée et plus verte. « Cette combinaison de science et de nature répond totalement à l'attente actuelle des Américains », analyse Karen Grant, vice-présidente de la division beauté du panéliste NPD. « Les consommateurs comprennent bien que ces produits n'ont rien à voir avec les vrais produits biologiques mais pour ceux qui cherchent des produits d'aspect naturel pour pas cher, ce peut être un bon compromis », commente un concurrent. À défaut de faire dans le vrai bio, la marque joue sur d'autres codes susceptibles de satisfaire les défenseurs de la réduction des gaz à effet de serre. « Notre bouteille de Fructis est passée en dix ans de 24 grammes à 18,5 grammes de plastique, nous permettant d'économiser 300 tonnes de CO2 par an depuis 2008 », détaille Hélène Azancot, directrice générale de Garnier international. Au total, le groupe s'est engagé auprès du ministère de l'Environnement à réduire ses emballages de 15 % d'ici à 2012.En tout cas, la recette fonctionne. L'un des derniers produits, l'Eye Roll-On (roller à base de caféine pour défatiguer les yeux), s'est écoulé à plus de 10 millions d'unités en 2009. Après avoir séduit les Américaines, puis les Européennes, il remporte un franc succès auprès des Asiatiques. Cela tombe bien, c'est désormais vers elles que Garnier tourne toute son attention. Les ventes de la marque progressent ainsi cette année de 19 % en Inde et de 63 % en Chine. Mais la concurrence de grands groupes, celle de Procter & Gamble et d'Unilever, mais aussi celle des marques locales, y est beaucoup plus forte qu'ailleurs. Sur le marché de la coloration par exemple, les trois premières marques, soit 30 % du marché, appartiennent à Procter & Gamble, Garnier Nutrisse arrivant loin derrière avec 0,5 %. En Inde, Fructis a doublé ses parts de marché entre 2007 et 2008 pour atteindre 2,3 % du segment des shampooings mais reste loin derrière les 11 % de la première marque locale, Parachute. « L'Oréalcute;al est arrivé en retard de plus de dix ans dans ces pays et a privilégié une approche occidentale, sans pénétrer assez profondément dans le réseau de distribution », explique un rapport d'Euromonitor. « Le potentiel de développement est énorme », préfère positiver Hélène Azancot, qui met au contraire en avant la capacité d'adaptation de sa marque. En Inde, ses shampooings sont disponibles en mini-sachet de 7 millilitres à 3 roupies (moins de 1 centime d'euro). Ce format a permis à la marque d'entrer jusque dans les plus petites échoppes. Une stratégie propre à ce marché, puisque, à l'inverse, au Brésil comme d'ailleurs dans toute l'Amérique latine, elle propose des bouteilles de 1 litre, adaptées à une utilisation quotidienne. Les marchés émergents permettent aussi à Garnier de tester de nouveaux concepts. Depuis mai dernier, elle lance sur le marché indien sa première gamme de soins pour homme, avec des crèmes blanchissantes à 20 roupies. « Une étude d'image réalisée dans ce pays en 2008 montre que Garnier est la marque de cosmétique de mass-market préférée des Indiennes (44 % de préférence) », se félicite la directrice générale. Les prix mini y sont certainement pour beaucoup. Le tout est de savoir si ce positionnement abordable est tenable sur le long terme sans trop dégrader les marges. Notamment en France et dans les pays développés, où les volumes sont relativement plus petits que dans le reste du monde. Certains distributeurs français rechignent déjà à référencer la nouvelle gamme de Soins Essentiels car leur propre marge unitaire sera moins bonne que sur leurs marques maison. « Nous allons bien finir par les référencer mais pas forcément avec toute la motivation et la mise en avant que nous offrons au reste de la gamme, d'autant plus que Nivea occupe déjà ce créneau », confie-t-on chez Auchan. « Nous n'avons aucun problème de référencement, assure Jean-Jacques Lebel, Walmart demande même d'accélérer les livraisons. » Le directeur ne semble pas non plus préoccupé plus que cela par son résultat opérationnel : « Nous nous rattrapons sur des produits comme l'Eye Roll-On, c'est une question de juste équilibre.? » nà terme, le groupe veut réaliser 50 % de son chiffre d'affaires dans les pays émergents.Les ventes de la marque progressent cette année de 19 % en Inde et de 63 % en Chine. 44 % du chiffre d'affaires réalisé en Europe de l'Ouest, 19 % en Amérique du Nord, 3 % en Inde.Une croissance de 17 % dans les pays émergents (Brésil, Russie, Mexique, Inde et Chine) entre juin 2008 et juin 2009.
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