QUATRE DATES clés pour le traité de lisbonne

On a face à nous un malade ! ». Voilà comment, sous le sceau de l'anonymat, un diplomate européen décrit le président de la République tchèque. Ce résumé sans nuance rend bien le sentiment qui domine à Bruxelles face à l'obstination de Vaclav Klaus à ne pas signer le traité de Lisbonne. « Il n'a plus rien à perdre. Il se prend pour un génie incompris et il tient enfin sa chance de rentrer dans l'histoire », ajoute cette source. L'élite politique européenne a longtemps traité avec un certain dédain cet économiste né à Prague en 1941. Ses saillies eurosceptiques, a priori inoffensives, faisaient sourire, au même titre que son déni du réchauffement de la planète ou sa lecture pour le moins originale de la crise financière, qu'il impute à une trop grande régulation étatique. L'homme assure par exemple que « les icebergs ne fondent que dans les films d'Al Gore ».« Klaus n'aime rien tant que d'avoir raison tout seul contre le reste du monde », explique Renaud Dehousse, directeur du Centre d'études européennes de Sciences Po. Loin de lui déplaire, le bras de fer qu'il a engagé avec les vingt-six autres États membres lui assure une visibilité inespérée. De refus en recours, il a réussi à retarder jusqu'à présent la ratification du traité par la République tchèque. Depuis le vote irlandais du week-end dernier, il tient dans sa main le sort d'une réforme institutionnelle qui a nécessité dix années de débats. C'est le râleur du rez-de-chaussée qui refuse contre tout l'immeuble la modification du code de copropriété. Cet admirateur de Margaret Thatcher a réussi à gripper la machine communautaire, qu'il compare volontiers au Comecon. « À l'époque soviétique, certaines décisions étaient prises à 2.000 kilomètres. C'est quelque chose que nous n'oublierons jamais », aime-t-il rappeler. Le traité de Lisbonne permet d'avancer vers des politiques étrangère et énergétique communes. C'est justement à cela qu'il s'oppose de toutes ses forces. Outrepasse-t-il ses droits en refusant de signer un traité de Lisbonne dûment voté par le Parlement de son pays ? Il n'en a cure. La Constitution l'oblige à signer? mais sans fixer de délai. Le mandat qu'il estime avoir reçu des « nonistes » de toute l'Europe mérite bien cette entorse à l'esprit de la loi. « Beaucoup de Français sont heureux de savoir que les décisions se prennent à Paris », dit-il. Une vague populaire anti-Lisbonne lui permettrait de tenir jusqu'à l'arrivée au pouvoir des conservateurs au Royaume-Uni d'ici au mois de juin. Les tories, emmenés par David Cameron, ont promis un référendum sur le traité s'il n'était pas encore entré en vigueur à leur arrivée au pouvoir. Or, cette entrée en vigueur ne dépend plus que de la signature de Klaus. À ce stade, personne à Bruxelles n'ose croire à un référendum au Royaume-Uni et à un probable « non » britannique, qui enterrerait définitivement le traité de Lisbonne. Mais tous ne l'excluent pas. En fait, c'est le flou. Bruxelles navigue à vue en plein brouillard et se trouve bien démuni. L'eurodéputé allemand Jo Leinen assure qu'« il faut sanctionner un pays qui bloque l'Europe, surtout si c'est arbitraire ». Certes, mais comment ? Vaclav Klaus est un franc-tireur. Il agit en dépit de son Parlement et de son gouvernement.Pawel Swieboda, le directeur du think tank polonais Demos Europa, le compare à un « kamikaze ». Face au « pilote suicide » prêt à se faire exploser contre la tour du traité, l'arsenal européen ne pèse pas lourd. « Toute l'Union européenne repose sur la bonne volonté. Or, ce type joue la destruction. C'est une situation que le système ne sait pas gérer », explique l'eurodéputée Sylvie Goulard.Tout le monde est cependant d'accord pour éviter que Klaus puisse se poser en victime. « Les politiciens européens devraient être prudents. S'ils l'intimident, ce sera contre-productif. Il le prendra comme prétexte », explique Pawel Swieboda. C'est également la position de la présidence suédoise. « Des menaces seraient contre-productives », explique le Premier ministre, Fredrik Reinfeldt. « Tout ce qu'il attend, c'est d'être martyrisé pour gagner à sa cause les Tchèques sur le refrain du : ?ils sont tous contre nous, ils piétinent notre honneur? », dit-on à Paris.Depuis des semaines, l'idée flotte que Klaus pourrait faire perdre à la République tchèque sa place à la Commission. Si le traité de Lisbonne n'entre pas en vigueur, le nombre de commissaires devra être réduit, mais il n'est pas précisé de combien. Il suffirait alors de supprimer un seul poste. De là à brandir la menace devant Prague, comme l'a fait l'eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, il n'y a qu'un pas. Le franchira-t-on ? « Il faut se garder de punir les Tchèques », répond-on au Quai d'Orsay. D'autant que toute décision sur la formation du collège européen doit être prise à l'unanimité. Ce serait donc demander au Premier ministre tchèque, Jan Fischer, de se tirer une balle dans le pied. « Cette affaire de commissaire en moins est un tigre de papier », explique une source à la Commission.Une fois écartée l'hypothèse de l'exclusion, on hésite à Bruxelles entre la carotte et le bâton. Prague pourrait écoper d'un portefeuille « pourri », comme le multilinguisme, ou, au contraire, être appâté par un poste plus consistant. Ce qui reviendrait une nouvelle fois, après les Irlandais, à graisser la pâte à ceux qui bloquent. Au château de Prague, siège de la présidence, on affiche l'indifférence : « Le fait d'avoir un commissaire tchèque au sein de la Commission européenne n'est pas très important. Ce serait important s'il représentait bel et bien son pays. Ce qui n'est pas le cas du commissaire actuel », explique le conseiller Ladislav Jakl. L'Europe semble donc dans l'impasse. Nicolas Sarkozy, Gordon Brown et José Luis Zapatero avaient pourtant laissé entendre qu'ils passeraient à l'offensive contre Klaus dès le lendemain du référendum irlandais. S'ils l'ont fait, c'est pour l'instant en toute discrétion ! « La marginalisation de la République tchèque, tout le monde en parle mais personne ne sait comment faire », explique un diplomate. « Juridiquement, l'Union européenne ne peut pas faire grand-chose. Politiquement, c'est différent. Tous les jours, les gouvernements ont des demandes à formuler. Le pouvoir contractuel tchèque va être érodé si le président continue à jouer les Astérix », nuance Renaud Dehousse. « La République tchèque a droit à une solidarité des autres États. La solidarité, c'est dans les deux sens, s'agace-t-on à Bruxelles. Si elle bloque, cela pourra se retourner contre elle. » La rhétorique de l'intérêt bien compris n'a pour l'instant pas prise sur ce président « kamikaze ».La République tchèque est certes le deuxième plus gros bénéficiaire de fonds européens parmi les nouveaux États membres après la Pologne : 27 milliards d'euros entre 2007 et 2013. Mais il n'y a pas d'affectation budgétaire à court terme. Pour l'heure, les Européens renvoient la balle à Prague. « C'est un problème interne. Les Tchèques sont dans une crise institutionnelle profonde », assure Sylvie Goulard. Le sursaut de la classe politique et de la société civile se fait attendre. Les partisans de Klaus ont manifesté à Prague le week-end dernier. « Où étaient les défenseurs du traité ? Les gens ne se rendent pas compte de la gravité de la situation », estime Pawel Swieboda. Lisbonne ne déplace pas les foules, à l'image de la poignée de militants du « oui » venus manifester leur joie et lâcher des ballons devant le château de Dublin samedi. Dans la confusion ambiante, les scénarios les plus contradictoires coexistent. Les réalistes veulent croire que les autres États sont prêts à passer en force d'ici à la fin de l'année. De nombreux observateurs estiment, comme Jo Leinen, qu'« il faut que le Conseil européen nomme quoi qu'il arrive le haut représentant et le président de l'Union européenne, avec l'accord du gouvernement tchèque ». Des optimistes jugent même que la Cour constitutionnelle tchèque, saisie par des sénateurs alliés du président, pourrait rejeter le recours d'ici au Conseil européen de fin octobre où seront discutés les postes à la Commission. L'eurodéputé Alain Lamassoure est de ceux-là : « La question est de savoir si Klaus nous fera perdre trois semaines ou un mois. » En réalité, nul ne sait combien de temps durera la procédure. À la Commission, la prudence prévaut : « Il faut donner un peu de temps au temps, ne pas bousculer les choses », assure une source interne. « Donnons-lui les moyens de sauver la face, il va se calmer quand il y aura le rejet du nouveau recours », explique-t-on à Paris. L'hypothèse d'une nouvelle saisine de la Cour n'est pas exclue. Et même si le traité est jugé constitutionnel, Klaus n'est pas tenu par un délai légal pour signer le traité. « Je suis convaincu que le processus de ratification se terminera avant la fin de l'année », a déclaré hier Jan Fischer. « Ma signature n'est pas à l'ordre du jour », affirmait encore samedi l'intéressé. Le compte à rebours a commencé. nC'est le râleur du rez-de-chaussée qui refuse contre tout l'immeuble la modification du code de copropriété.12 juin 2008 : les Irlandais le rejettent par référendum.6 mai 2009 : après la chambre des députés, le Sénat tchèque l'adopte.2 octobre 2009 : les Irlandais votent « oui ».Juin 2010 : date limite pour les élections générales au Royaume-Uni.
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