La vidéo à la demande vient bousculer l'exception culturelle

À l'ère des réseaux numériques sans frontières et de la consommation de vidéo à la demande, le subtil édifice français de la régulation audiovisuelle et du soutien à la production est-il condamné à baisser la garde ? L'avis « défavorable » - une première - que vient de rendre public le Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le projet de décret « Smad » - pour services de médias audiovisuels à la demande - invite en tout cas à réguler avec prudence et progressivité au nom du « réalisme économique », pour ne pas brider « l'innovation et la diffusion » de ces services nouveaux, et éviter « le risque de délocalisation des services ». Ce décret prévu dans la loi audiovisuelle de 2009, au titre de la transposition de la directive européenne sur les services de la société de l'information, vise à imposer aux plates-formes de vidéo à la demande des obligations, tant pour l'exposition d'oeuvres européennes et françaises - à l'image des « quotas » de diffusion en télévision - que pour le soutien économique à la production européenne, réplique des « obligations de production des chaînes ». Les Smad englobent les services mettant à disposition (par voie hertzienne ou autre) des oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles sous forme de télévision de rattrapage, de vidéo à la demande par abonnement ou à l'acte. Déjà réécrite, la nouvelle version ne satisfait pas le CSA pour qui les dispositions rédigées par le ministère de la Culture avec le Centre national du cinéma penchent trop en faveur des producteurs au détriment des plates-formes de vidéo à la demande. Sur ce marché émergent, le CSA estime qu'il faut prévoir un réexamen au bout de dix-huit mois. En attendant, le Conseil demande des assouplissements. Par exemple, quand le projet de décret prévoit que le catalogue d'un Smad, comme la grille d'une chaîne française, devrait comporter 60 % d'oeuvres européennes, dont 40 % d'expression originale française, le CSA propose de ramener ces taux à 50 % et 35 %. La contribution à la production - calculée sur des pourcentages du chiffre d'affaires (26 % à 21 %) - ne concernerait que les Smad (hors télévision de rattrapage) réalisant plus de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. Et jusqu'à 50 millions d'euros, ils ne seraient pas tenus de préfinancer des films : ils pourraient comptabiliser dans leurs obligations, l'achat d'oeuvres européennes déjà produites et qu'ils achètent de toute façon pour approvisionner leur plate-forme. Du coup, la mesure pourrait être neutre pour les grandes plates-formes, comme CanalPlay, TF1 Vision... Publier le décret en l'étatPour autant, le CSA estime que les taux retenus ne devraient être atteints qu'avec une montée en charge progressive. « L'expression culturelle française doit être défendue avec des outils adaptés », explique Michel Boyon, président du CSA, qui pointe le risque de délocalisation des services. Certes, un décret « anticontournement » est prévu. Si un service destiné au public français s'abrite sur un autre territoire européen, le CSA pourrait lui enjoindre de se soumettre à la régulation française. Mais à condition que la Commission européenne et le régulateur du pays abritant le service donnent leur accord. Des dispositions difficiles à appliquer, juge-t-on au sein du CSA. Apple avec sa plate-forme iTunes basée au Luxembourg pourra se dispenser des obligations françaises en faisant valoir que son service est paneuropéen. Le ministère de la Culture peut passer outre l'avis du CSA et publier le décret en l'état. L'essor des services à la demande et la place qu'y tiendra la création française diront à terme si la prudence du CSA était justifiée ou pas.
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