Le dilemme secret de WikiLeaks

Les fêtes de Noël seront mornes cette année pour une poignée de financiers américains qui attendent les révélations que promet Julian Assange, le fondateur du site WikiLeaks, sur diverses mauvaises manières de banques et d'entreprises. Après la guerre et la diplomatie, WikiLeaks s'intéresse - enfin pourrait-on dire - à une population moins maladroite que celle des militaires et moins naïve que celle des diplomates. Julian Assange le dit lui-même, 50 % des envois anonymes de documents stockés dans les entrepôts numériques de WikiLeaks proviennent d'entreprises privées. Mais là, le jeune justicier s'attaque à une cible autrement plus réactive que les bureaucraties à demi-paralysées des grands États occidentaux. Le fondateur de WikiLeaks se trouve en fait devant un choix délicat. Il hésite entre deux stratégies. Soit il durcit le ton, élargit sa croisade et lâche la bride aux « ultras » qui l'entourent et qui rêvent du grand soir numérique. Soit il devient un Cohn-Bendit de la démocratie Internet, ménage plus ou moins les pouvoirs et se pose en thaumaturge de la protestation citoyenne. C'est tout le sens de son pacte avec cinq grands titres de la presse libérale - dont « Le Monde » (qui réveille le souvenir de ses transmissions en direct de procès-verbaux de juges d'instruction). WikiLeaks encourage toujours le vol de fichiers mais « virginise » ses trophées en les confiant aux artificiers du journalisme à l'ancienne. Une démarche vigoureusement contestée par l'aile radicale de son réseau.En ce début de siècle, les États sont moins armés que les entreprises pour faire face aux manoeuvres de déstabilisation interne. S'il suffit de quelques clics à un fonctionnaire jaloux ou à un jeune illuminé pour basculer à la face du monde les documents sensibles d'un État, on imagine les récoltes quotidiennes que des organisations malveillantes sont en mesure d'effectuer en exploitant la perméabilité des structures publiques géantes. À l'inverse, le monde de l'entreprise est par définition le monde des frontières surveillées et de l'information contrôlée. Il n'y a pas de libre entreprise sans dialectique de la transparence et du secret. Le jeu concurrentiel se nourrit de la maîtrise du « dit » et du « non-dit », ce qui implique une maîtrise sans faille de tous les outils d'information. Le réseau Internet ? C'est l'entreprise qui le construit. Le vol de données ? Dans la sphère privée, c'est toujours un crime.L'information économique est plus inflammable que l'information politique car elle s'incarne dans le monde réel des rapports de force entre des personnes, entre des adversaires qui s'appellent par leurs noms. Elle a connu ses périodes d'infamie. Elle est aujourd'hui encadrée par la loi, surveillée par les autorités de marché, scrutée par les sites sociaux et les associations d'épargnants. Impossible, ici, de déroger à la loi fondamentale du journalisme qui exige la vérification des sources alors que l'anonymat est le fondement du modèle WikiLeaks. Le journaliste qui écrit sur les affaires de délits d'initiés, sur les batailles boursières ou les stratégies d'entreprises travaille sous le regard critique d'acteurs de la vie des affaires qui appartiennent à des coalitions antagonistes, toujours promptes à dénoncer la moindre attitude partisane.En ouvrant la boîte de Pandore des noirceurs de la vie des affaires, Julian Assange se trouve écartelé entre son désir de normaliser l'expression spontanée des « sans-grade » du système et l'envie de guerre totale qu'une armée d'internautes anonymes le presse de déclencher. L'année 2011 hésite donc entre le pétard mouillé et le feu d'artifice WikiLeaks. Ce n'est jamais qu'un épisode de l'enfantement douloureux d'une cyber- démocratie crédible.ParJacques Barraux, Journaliste
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