Pourquoi Hollande ne peut pas renoncer au symbole des "75%" (et comment sortir de ce piège)

Bien sûr, ce n\'est pas encore la fuite à Coblence des nobles tentant d\'échapper à la révolution française après l\'arrestation de Louis XVI en 1791. Il ne s\'agit encore que d\'un cas isolé, très emblématique certes. Mais qui peut douter que derrière le possible départ de Bernard Arnault se cachent de très nombreux patrons, d\'entreprises plus ou moins grosses, qui trouvent détestable le climat de chasse aux riches et surtout d\'incertitude fiscale dans lequel François Hollande a plongé la France ? Comment investir, durablement, dans un pays qui n\'est pas capable d\'offrir un cadre stable, connu à l\'avance, pour y faire des affaires ? Voilà le procès qui est fait aux « 75% », qui est assimilé par ceux qui se sentent concernés comme une sorte de répétition de la révocation de l\'édit de Nantes qui, en 1685, avait précipité le départ des protestants de France.Pour Bernard Arnault, ce n\'est pas une première. Déjà, en 1981, l\'héritier des maisons Férinel s\'était exilé aux Etats-Unis... avant de revenir quelques années plus tard pour reprendre les décombres de l\'empire Boussac, dans lequel il trouvera la pépite Dior, première pierre de l\'empire du luxe qui fera sa fortune. Comme quoi le capitalisme sait fort bien s\'accommoder avec le socialisme, lorsqu\'il peut en tirer profit...Personne ne peut croire que ce soit un hasard si la première fortune française a laissé filtrer samedi cette information sensible, deux jours après avoir été reçu par le Premier ministre à Matignon, et à l\'avant-veille de la première interview télévisée du chef de l\'Etat, ce dimanche sur TF1. Confronté à un intense lobbying de la part des patrons pendant tout l\'été, le gouvernement est bien embarrassé avec la promesse de François Hollande de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million d\'euros. Toutes les voies de contournement ont été testées, pour tenter de limiter la portée de cette mesure. A la veille du week-end, des fuites savamment orchestrées ont évoqué divers scénarios : une mesure temporaire, pour deux ans, réservée aux revenus « prévisibles » pour exonérer artistes, sportifs et créateurs, « familialisation » pour placer la barre à 2 millions pour les couples. Informations officiellement démenties par l\'Elysée, Matignon et Bercy à la veille du week-end, qui ont réaffirmé que tous les arbitrages fiscaux du budget 2013 ne sont pas encore rendus.Une faute économiqueDe fait, à quoi sert-il de prendre une telle mesure qui ne concernera au final qu\'à peine 1000 personnes et dont le rapport sera de quelques centaines de millions d\'euros, à comparer aux 15 à 20 milliards d\'euros d\'impôts nouveaux qu\'il est nécessaire de lever ? Tout ça pour ça. Alors bien sûr, François Hollande peut en théorie encore renoncer aux « 75% » ou en tout cas édulcorer cette promesse devenue empoisonnée. Un sondage Ifop publié par le Journal du Dimanche ne laisse-t-il pas entendre que les Français accepteraient, à 78%, que le chef de l\'Etat renonce à certains de ses engagements de campagne en raison de la gravité de la crise...Cette « indulgence » pourrait-elle s\'appliquer aux 75% ? A l\'évidence, c\'est devenu impossible. Le président de la République ne peut pas se dédire sur cette taxe qui s\'est imposée comme le marqueur de son élection. Quand bien même il sait très bien que cet impôt est une faute économique -dans son entourage même, on dit que c\'est Cuba, sans le soleil !-, il ne peut pas commettre la faute politique d\'y renoncer sauf à achever de perdre une crédibilité déjà bien entamée auprès des électeurs du 6 mai. Comme Jospin avec les 35 heures, c\'est la crédibilité de la parole politique qui est en jeu. Et que de bêtises on a fait en France au nom de promesses électorales maladroites. En flattant la démagogie anti-patrons de l\'opinion, le candidat Hollande a certes placé un smash gagnant pour l\'élection. Cette mesure a été efficace pour calmer les drapeaux rouges agités place de la Bastille par Jean-Luc Mélenchon. Mais, quelques mois plus tard, c\'est une bien mauvaise mesure pour l\'économie française que s\'apprête à prendre François Hollande, alors que, bien au-delà du cas individuel de quelques fortunes, ce sont des équipes entières de direction qui risquent de choisir la voie de l\'exil pour échapper à un climat fiscal anti-business.Paradoxalement, la menace du départ en Belgique (ou à Monaco puisque telle serait la véritable intention du patron de LVMH) de Bernard Arnault rend le dossier encore plus délicat à régler. Tout recul du pouvoir serait interprété par l\'opinion comme une capitulation devant les forces de l\'argent et redonnerait du poids au Front de gauche et à Mélenchon pour dénoncer la dérive sociale-libérale du gouvernement. Au moment où celui-ci peine déjà à convaincre le PS d\'adopter le traité budgétaire et la règle d\'or, renoncer aux 75% porterait un coup de grâce à la capacité d\'action du président de la République.Un but contre son campDe ce point de vue, Bernard Arnault n\'a pas rendu service à la cause qu\'il défend. Le risque est au contraire que la mesure soit durcie pour ne pas prêter le flanc à la critique. Le salut pourrait alors venir du Conseil Constitutionnel qui déjà à adressé au pouvoir un premier avertissement contre l\'impôt confiscatoire à l\'occasion de la création d\'une contribution exceptionnelle d\'impôt sur la fortune, sans aucun plafond. Un impôt à 75%, cumulé avec les autres impôts (CSG, RDS, ISF et impôts locaux) sera à l\'évidence tout aussi confiscatoire et risquerait d\'être annulé par les juges constitutionnels. Mais peut-on prêter à François Hollande une telle duplicité ?Le président de la République s\'apprête donc à faire sa première grosse bêtise du quinquennat. Son ambition, juste, de faire payer plus ceux qui ont le plus et ont le plus bénéficié du quinquennat de Nicolas Sarkozy avec le bouclier fiscal, se retourne contre lui. C\'est que n\'est pas Roosevelt qui veut : le moment n\'est pas loin où l\'opinion, qui ne sera pas apaisée par la punition fiscale infligée à quelques dirigeants d\'entreprise trop gourmands, se rendra compte que la gauche a marqué un but fiscal contre son camp. Sans résoudre en rien la question de l\'emploi et du pouvoir d\'achat, ni même de la cohésion sociale. La France n\'est pas une île dont les frontières sont closes. Combien d\'investissements étrangers ne vont pas se faire, combien de centre de décisions vont continuer à partir, parce que l\'on aura voulu faire un symbole ? A moins, ce qui serait finalement la solution la plus sensée, de faire de ces 75% un plafond, une sorte de bouclier fiscal de gauche, qui, il faut s\'en souvenir, ne serait rien d\'autre que le rétablissement du plafonnement Bérégovoy mis en place en 1988, lors du rétablissement de l\'impôt sur la fortune. Tous ceux qui ont encore un peu de mémoire savent que c\'est la droite, sous Chirac, qui avait déplafonné en 1996 ce plafond (qui était à l\'époque à 70%), provoquant la première grande vague d\'exil fiscal en Belgique et ailleurs. On dit que pour Hollande, rétablir un bouclier fiscal serait impossible, parce que ce serait faire du Sarkozy. Mais qui le dit  et au nom de quoi un plafonnement de l\'impôt à un niveau raisonnable, compatible avec les temps de crise que nous vivons, serait contraire au grands principes de notre démocratie ? Sauf à vouloir à tout prix continuer à faire de l\'anti-sarkozysme, ce qui n\'est plus vraiment le problème du jour, François Hollande a là une porte de sortie honorable pour à la fois tenir sa promesse et mettre fin à la panique fiscale qu\'il a suscité.
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