Les chemins buissonniers de la légalité

Paris avant la Toussaint. Le chef de file du holding familial Hermès reçoit un coup de téléphone à 9 h 45. Un communiqué du groupe LVMH est publié à 12 heures. Bernard Arnault y exprime sa conception économe de l'effusion, qualifiant « d'amical » le discret cheminement qui fait désormais de LVMH le deuxième actionnaire d'Hermès. « Nous avons respecté scrupuleusement la réglementation », assure-t-il.Au même moment, à Mountain View, Californie. Révélation par Bloomberg des exploits de Google en matière d'optimisation fiscale. On apprend que, entre 2007 et 2009, Google n'aura payé que 2,4 % d'impôts sur 11,1 milliards de dollars de chiffre d'affaires hors États-Unis. La porte-parole du groupe évoque une « construction parfaitement légale ». Les fiscalistes de Microsoft, Apple et IBM n'ont pas su faire aussi bien.C'est un trait de l'époque, la légalité y emprunte volontiers des chemins buissonniers. Jeu de cache-cache avec les autorités boursières entre la France, les États-Unis, le Luxembourg et Panama dans l'affaire Hermès. Jeu de saute-mouton avec les régimes fiscaux de l'Irlande, des Pays-Bas, des Bermudes et des États-Unis dans le cas de Google. Deux exemples ordinaires qui soulèvent le voile sur « l'autre » atelier du monde. Celui des conseils, des experts, des banquiers, des avocats qui transforment en solutions « strictement légales » des intentions équivoques.Dissimuler une information stratégique exigible par le marché, brouiller les pistes pour se soustraire à l'application d'un règlement : un gracieux pas de danse aux frontières du légal et de l'illégal peut être l'occasion tentante d'infléchir un rapport de force ou de marquer un point dans une guerre de position.Mais la démarche est risquée. Une star de la cote, soucieuse de son image, scrutée par la presse et par le marché, n'a pas intérêt à l'entreprendre elle-même. D'où la pratique généralisée du partage des tâches entre l'entreprise et le cercle élargi des « sous-traitants » de l'immatériel.Sur la scène, l'entreprise est en pleine lumière. Elle est philanthrope et pluricitoyenne (mondialisation oblige). À l'ombre des coulisses, des obligés assurent les travaux de « mise en conformité » avec la loi. Souvent, on leur demande d'aller plus loin, de rendre des services, de remplir des missions, ce qui les transforme, sans qu'ils mesurent le risque d'effet boomerang, en acteurs supplétifs de grandes manoeuvres. Et c'est là tout le problème qui se profile à l'horizon pour certains grands noms des métiers du chiffre et du droit.L'Europe et l'Amérique du Nord sont traversées par des courants populistes. Une période propice à la traque Internet et aux pratiques inquisitoriales. Chaque jour, le verrou d'une information secrète saute sur telle pratique de portage « engagé » d'une banque, sur telle couleuvre avalée par un commissaire aux comptes, sur tel montage juridique spécieux ayant favorisé une fraude. L'« outsourcing » de tâches compromettantes déplace la foudre sur la tête des prestataires de services trop serviles ou trop faibles pour résister à la relation dominant-dominé qu'imposent certains groupes aux méthodes implacables.Ce déséquilibre est fâcheux. D'abord, parce qu'il trace une frontière purement marketing entre le pur et l'impur ? le beau rôle pour les uns, le fardeau moral pour les autres. Ensuite, parce que la grande famille des consultants a bien autre chose à faire que de relayer le travail des officines d'autrefois. Elle était censée nous préparer à la révolution de l'intelligence... ParJacques Barraux Journaliste
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