L'Amérique soigne ses évangéliques

Ick Warren n'est ni journaliste vedette à CNN ni présentateur à ABC. C'est pourtant chez ce pasteur de l'église évangélique de Saddleback en Californie du Sud que John McCain et Barack Obama ont accepté de se retrouver sur une même scène pour leur première prestation publique commune en tant que candidats à la Maison-Blanche. Personne, dans les sphères du pouvoir, ne semble avoir oublié les leçons de 2004 et le soutien décisif apporté à George Bush par l'électorat évangélique, la branche conservatrice du protestantisme anglo-saxon. Personne n'ignore non plus que l'Amérique est une nation de chrétiens (à 78,4 %) et que plus d'un Américain sur deux (54 % selon les chiffres du Pew Forum on Religion and Public Life) va à l'église au moins une fois par mois." L'HOMME D'EGLISE LE PLUS INFLUENT D'AMERIQUE "L'honneur ainsi rendu à Rick Warren ne doit rien au hasard. L'auteur de The Purpose Driven Life, qui s'est vendu à 40 millions d'exemplaires (le plus gros succès de librairie de l'histoire de l'édition américaine), s'est, dixit le magazine Time, imposé comme " l'homme d'église le plus influent d'Amérique ". Il n'en a pas toujours été ainsi. " Aux États-Unis, les évangéliques ont pourtant longtemps été ignorés par les marketeurs, qui commencent tout juste à s'y intéresser ", explique Tata Sato, directeur associé chez Mindshare, une agence experte en média planning. À la demande d'un géant de l'industrie des biens de consommation dont elle préfère taire le nom, cette consultante a rédigé un rapport destiné à prouver au monde des affaires l'énorme potentiel de la cible évangélique. " Contrairement aux stéréotypes qui projettent l'image d'une communauté peu aisée et peu sophistiquée, il s'agit d'une cible particulièrement porteuse avec un pouvoir d'achat annuel de 2.100 milliards de dollars. De plus, c'est un groupe très attrayant de par sa diversité puisqu'il réunit trois des catégories démographiques les plus prisées : les femmes, les hispaniques et les jeunes ", insiste Tata Sato.Dans un best-seller intitulé Shopping for God, James Twitchell explique bien comment la religion, au pays du télévangélisme, est passée d'une affaire de coeur à une affaire de gros sous, marketing et médias à l'appui. " En Amérique, le religieux fait vendre, la religion est une entreprise comme les autres et les pasteurs sont devenus des "pastentrepreneurs"", résume-t-il. On recense aux États-Unis pas moins de 200.000 églises (toutes dénominations confondues) contre 5.000 salles de ciné. Ces deux chiffres reflètent bien le pouvoir de la foi et son emprise culturelle. Les industries de la musique et de l'édition chrétiennes ne connaissent pas la crise. Bien au contraire." Le mot "évangile"vient du grec "euaggellion"qui signifie bonne nouvelle. Par définition, les évangéliques sont des messagers qui propagent la bonne nouvelle. Ce sont en quelque sorte des marketeurs nés ", explique Larry Ross. Fondateur de l'agence de relations publiques A. Larry Ross Communications, basée au Texas, ce gourou du marketing de la foi, compte parmi ses illustres clients Rick Warren, le prédicateur Billy Graham, mais aussi le réalisateur et acteur Mel Gibson. L'énorme succès de son film la Passion du Christ fut à l'origine de l'" holywoodisation" d'Hollywood [Ndlr : holy avec un seul L signifie " saint "], les studios ayant soudain réalisé la soif du public pour les thèmes religieux. L'Amérique des évangéliques est également celle des mégaéglises. Réparties sur tout le territoire, elles réunissent chaque dimanche au moins 2.000 fidèles dans des auditoriums gigantesques équipés d'écrans géants et de sonos à l'acoustique parfaite. Leur mission : convertir en divertissant. Et cela marche. Les autres branches protestantes ainsi que les catholiques voient leurs églises se vider." LE FIDELE EST TRAITE COMME UN CONSOMMATEUR "James Twitchell analyse cette primauté comme la conséquence d'une stratégie digne d'une marque de grande distribution : " Le fidèle est traité comme un consommateur. Et les Américains associent le succès à la taille des entreprises. Par exemple, le brasseur Budweiser ne tentera jamais de se distinguer de ses concurrents en prétendant que sa bière est meilleure. Il va dire qu'il vend plus de bières que les autres ", décrypte-t-il.L'influence des évangéliques se manifeste également dans le monde du travail, comme le souligne le sociologue Michael Lindsay, professeur de sociologie à l'université de Rice à Houston. " Chez les évangéliques, la foi influence non seulement l'individu, mais aussi ses relations avec son entourage " explique-t-il. Et de citer l'exemple de Michael Duke, vice-chairman du géant de la distribution Wal-Mart, qui lui a confié n'avoir aucun état d'âme à mélanger foi et travail. " Dieu m'a destiné au monde des affaires ", lui a-t-il expliqué. La culture d'entreprise de Wal-Mart est donc en harmonie avec sa foi : le règlement interne interdit d'accepter des cadeaux de la part des fournisseurs et les cadres de Wal-Mart, dirigeants compris, sont priés de partager leur chambre d'hôtel lorsqu'ils sont en déplacement, la frugalité étant une valeur clé du protestantisme. Un exemple loin d'être isolé. Horst Schulze, président du groupe hôtelier Ritz Carlton, a ainsi récemment confié à Michael Lindsay avoir interdit la diffusion de films pornographiques dans ses hôtels.Des aumôniers pour booster la productivitéAux États-Unis, la loi ne condamne pas le prosélytisme sur les lieux de travail. Les entreprises, petites ou grandes, n'hésitent donc pas à recourir à des prêcheurs pour booster la productivité et le moral de leurs employés. Une aubaine pour Marketplace Chaplains USA. Fondée en 1984 à Dallas (Texas), cette société compte près de 2.500 salariés - essentiellement des aumôniers - qui viennent prodiguer la bonne parole au siège des entreprises qui lui en ont passé commande. " Si une grosse majorité d'Américains sont croyants, 70 % des travailleurs n'ont pas de relation particulière avec Dieu. Il y avait donc un grand manque à combler dans les entreprises ", assure son fondateur, Gil Stricklin, tout en précisant que la mission de sa société n'est pas de faire du prosélytisme, mais d'aider les employés à se sentir appréciés et valorisés : " Nous sommes là pour apporter un soutien moral aux travailleurs dans le besoin. "À ceux qui lui reprochent de violer la sacro-sainte séparation entre l'Église et l'État, il répond : " L'entreprise n'est pas l'État, et notre société n'est pas l'Église. " L'un de ses plus gros clients, le roi du poulet Pilgrim's Pride, ne jure que par ses aumôniers : depuis qu'il a fait appel à leur service, le taux de renouvellement de son personnel est particulièrement bas. Un fait rarissime dans l'industrie alimentaire.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.