Montres de luxe cherchent acheteurs à tout prix

C'est l'autre mystère suisse?! Dans le petit monde bien rangé de la haute horlogerie helvète, il est un secret désormais mieux gardé que le secret bancaire?: celui des ventes sous le manteau de montres à 5.000, 10.000, parfois plus de 50.000 euros. « Toutes les marques le font, mais jamais elles ne vous le diront », « Moi je suis trop petit pour faire ça, mais les grands groupes n'arrêtent pas », « Qui?? Ah?! je ne pourrais pas vous dire »? Inutile pourtant d'attendre le revendeur discret avec sa mallette noire menottée au poignet pour se rendre compte du phénomène. Un simple petit tour sur Internet permet de découvrir, sur des sites comme Portero.com, thewatchery.com ou watchfinder.co.uk, des dizaines de Rolex, Tag Heuer ou Jaeger Lecoutre à ? 30 %, ? 50 % ou même ? 70 %.La revente de montres par les détaillants ou par les marques elles-mêmes, hors du réseau agréé, a certes toujours existé. Mais ce marché, dit « gris », s'est formidablement développé avec la crise et concerne désormais des montres récentes, encore au catalogue des distributeurs?! « C'est la pire chose qui soit pour une marque, l'inverse de la notion d'exclusivité liée au luxe », s'exclame le patron d'Hublot, Jean-Claude Biver. Malheureusement, certaines grandes maisons n'ont pas le choix, croulant sous des stocks record qu'elles finissent par devoir écouler par tous les moyens pour renflouer leur trésorerie. Car les fans de chronographes suisses ont brutalement cessé d'acheter à partir de l'automne 2008, tandis que les groupes horlogers, qui vivaient sur les commandes de 2007, ont continué à produire. « Certaines se retrouvent avec deux, voire trois ans de production dans les tuyaux », constate un expert sous couvert d'anonymat.Du coup, alors que les exportations de montres suisses ont dégringolé de 24 % entre janvier et novembre 2009, le marché gris serait passé, selon les spécialistes, de 10 % à environ un quart du marché total. L'Europe et les pays proches de la Suisse sont peu touchés, mais les ventes parallèles concernent plus d'un produit sur deux en Russie ou en Chine.Jusqu'à maintenant, les grandes maisons de Richemont, Swatch ou LVMH n'y écoulaient que leurs « rossignols », des modèles invendables vieux de trois ou quatre ans. « Il s'agit dans ce cas de réseaux étanches en Afrique, en Russie ou en Chine, qui n'auraient jamais acheté autrement », explique le directeur général d'une maison de Richemont. « Qu'est-ce que ça peut faire si je vends discrètement une vieille montre au Nigeria », enchérit le patron d'une marque de LVMH.Oui, mais voilà, depuis un an, les rossignols ont aussi fait de la place aux derniers modèles. « Jusqu'à maintenant, quand un déstockeur tapait à la porte, on lui donnait 95 % de vieux modèles et on lâchait 5 % de montres neuves. Cette année, il ne prend 80 % des premiers que si on lui donne aussi 20 % des secondes », résume notre expert. Le déstockeur est donc un des intermédiaires les plus courants pour écouler la marchandise, soit directement, soit en fermant les yeux quand les détaillants agréés se débarrassent des pièces qu'ils ne vendront pas. « Nous le faisons tous plus ou moins », confesse un célèbre distributeur de la rue Saint-Honoré.C'est ainsi que le déstockeur canadien Chiron a pu faire jusqu'à plus de 150 millions d'euros d'emplettes cette année. Ou qu'un site comme Watchfinder voit ses ventes croître d'environ 30 %. Autre canal?: les pseudo-vendeurs d'occasion comme MMC, Cresus ou Time Addict. Eux achètent la marchandise aux distributeurs ou aux marques et revendent sur leur site avec la mention « occasion récente ». « J'ai envoyé un mailing aux détaillants de grandes marques en juillet pour leur demander leurs fins de série et une vingtaine d'entre eux m'ont répondu, soit bien plus que d'habitude et à des prix beaucoup plus bas », témoigne l'un d'eux. Ces sociétés peuvent aussi revendre aux sites, type ventes-privées.com. « C'est la première fois cette année que je fais une vente Rolex », déclare Swen Lung, le patron de Brandalley.com. Plus directes, certaines marques, comme Bulgari récemment, organisent des ventes privées au personnel sur Internet avec un accès beaucoup plus large. Ou, comme Chaumet ou Cartier, des ventes « caritatives ». « Ces ventes permettent d'écouler les pièces difficiles », dénonce-t-on à la direction de la branche horlogerie des Galeries Lafayette.Finalement, peu importe le canal, le tout est de rester discret. Car toutes les maisons horlogères ont conscience du danger que de telles pratiques font courir à leur image de marque. Pour les petites comme Patek Philippe, Hublot ou Panerai, il est relativement facile de contrôler les ventes effectives des distributeurs agréés aux clients finaux. « Quand une boutique me commande cinq montres identiques, je ne livre pas la deuxième tant qu'on ne m'apporte pas la preuve de la vente de la première », assure Jean-Claude Biver. « Je tente le plus possible de maintenir une offre inférieure à la demande en faisant par exemple des séries limitées de 500 pièces », témoigne le PDG de Bell & Ross, Carlos Rosillo. Les grandes maisons, qui brassent des milliers de montres, ont plus de mal à faire la police. Cartier et Rolex auraient ainsi fermé quelques détaillants peu scrupuleux. Mais les grandes marques n'ont pas intérêt à autoriser leurs commerciaux à faire moins de chiffre qu'avant. Une attitude schizophrène que le patron de la division horlogerie de LVMH, Philippe Pascal, résout ainsi?: « Pour éviter les surstocks poussés par les commerciaux, nos filiales sont appréciées sur le ?sell-in? (ventes aux distributeurs) et le ?sell-out? (ventes des distributeurs aux consommateurs) en même temps. » Enfin, pour éviter les ventes parallèles, reste la bonne vieille méthode de la ristourne. Ce Noël, Tag Heuer offrait à ses fidèles clients américains 500 dollars sur des montres d'environ 3.000 dollars.Seule bonne nouvelle, les maisons semblent avoir pris la mesure du problème des stocks et limitent fortement leur production. Une fois cette opération de nettoyage terminée, tout devrait rentrer dans l'ordre. Seuls les rossignols continueront de chanter sur les branches éloignées d'Afrique ou de Russie. Sophie LécluseDate?: EventHughes BIGO/Challenges-REA « Toutes les marques le font, mais jamais elles ne vous le diront. »
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