Les Français et la parole du président

Médiamétrie a parlé : 8,3 millions de téléspectateurs, soit 300.000 de moins que lors de l'émission réalisée en janvier 2010, ont regardé « Paroles de Français », un dialogue entre Nicolas Sarkozy et neuf de ses concitoyens. Une bonne audience mais une érosion symptomatique de l'état des relations entre le chef de l'État et ses concitoyens.Sans surprise, l'UMP, François Fillon et les ministres interrogés dans la foulée de l'intervention présidentielle ont salué « le discours de vérité » du chef de l'État tandis que l'opposition de gauche fustigeait « la mauvaise foi » de l'hôte de l'Élysée.Même émaillé par les « sarkozeries » habituelles - « Ce que vous dites, madame, c'est ce que vit le quotidien de tous les Français » ou encore « La soudure, c'est dur » -, l'exercice de jeudi soir est souvent apparu laborieux. Il était, il est vrai, d'une durée inhabituelle : deux heures et demie !Les réactions des personnes choisies par TF1 pour interroger le chef de l'État ont parfaitement reflété l'état d'esprit des Français vis-à-vis du président bondissant de 2007. « Je suis un petit peu déçu, je n'ai pas eu de réponses concrètes aux questions que j'ai posées », a dit Lionel, 56 ans, soudeur aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Lisa, 44 ans, professeure des écoles, s'est dite « un peu frustrée » car « il n'essayait pas vraiment de comprendre ce qui se passait tout en nous faisant croire qu'il comprenait bien notre métier ».Nicolas Sarkozy, on le sait, est un bon orateur. Un beau parleur, jugent sévèrement ses détracteurs. Pour partir à la reconquête des Français, alors qu'il est au plus bas dans les sondages, le chef de l'État compte plus que jamais sur sa capacité d'emporter l'adhésion par le verbe. Mais sa parole semble aujourd'hui parvenir difficilement à ses destinataires.Le site Linternaute.com a disséqué entre 2000 et 2010 les discours, interventions et interviews de 35 personnalités politiques. Le mot le plus utilisé est sans surprise le pronom « je » et Nicolas Sarkozy l'emploie en moyenne deux fois plus souvent que ses pairs. Le chef de l'État est aussi le premier utilisateur du « moi » et il multiplie l'usage des mots « travail », « police », « immigration » et « emploi ». Là se trouve peut-être l'une des explications de ce que les études d'opinion s'accordent à définir comme une lassitude des électeurs vis-à-vis de la classe politique. À trop entendre les mêmes phrases, les mêmes formules, sans jamais en voir la traduction concrète dans leur vie de tous les jours, les Français cèdent au scepticisme et à l'indifférence.C'est dire l'ampleur de la tâche qui attend Nicolas Sarkozy dans les quatorze mois qui le séparent de sa prochaine campagne présidentielle.Jeudi soir sur TF1, le chef de l'État n'a fait que poser les jalons de son opération de relégitimation dans l'électorat de droite. Sur la sécurité, en plein bras de fer avec les magistrats, il a oscillé entre émotion - sur l'affaire Laetitia - et détermination - annonçant de nouvelles mesures sur la délinquance des mineurs avant l'été et l'introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels. Sur l'immigration, il a, après Angela Merkel, affirmé que le multiculturalisme était un « échec » et rejeté une nouvelle fois toute régularisation « massive ». Pas question pour cette fois de s'éloigner de ses bases.Le chemin sera sans nul doute long pour Nicolas Sarkozy et le résultat ne sera peut-être pas à la hauteur des espérances des stratèges de l'Élysée.Mais la gauche aurait tort de penser que la victoire viendra seulement de l'épuisement de la parole présidentielle. Sur le terrain sémantique, elle aussi a des progrès à faire. Et ce, d'autant plus que Dominique Strauss-Kahn, son champion désigné par les sondages, reste totalement muet sur la situation politique et sociale de la France. Ses seules analyses étant réservées aux problèmes économiques. On verra vendredi prochain, en marge d'une réunion des ministres des Finances du G20 à Paris, si le patron du FMI sème de nouveaux petits cailloux sur la route qui pourrait le ramener en France.À sa gauche, Jean-Luc Mélenchon dépoussière un langage de lutte des classes abandonné depuis le tournant de la rigueur de 1983.Bien décidée de son côté à bousculer l'ordre des choses en 2012, Marine Le Pen fait subir un sérieux lifting aux mots du Front national. La future candidate FN a déjà quelque peu mis en sourdine le traditionnel discours de son parti sur l'immigration, préférant se présenter en avocate de la laïcité et disputant le social à la gauche.Qui aura le dernier mot en 2012 ?drL'analyse
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